Hervé - Le retour d'Ulysse - Th. Marigny 03/2019 (P. Bru Zane)

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EdeB
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Hervé - Le retour d'Ulysse - Th. Marigny 03/2019 (P. Bru Zane)

Message par EdeB » 18 mars 2019, 23:17

Hervé – Le Retour d’Ulysse (1862)
Livret d’Édouard Montagne

Pénélope – Marion Grange
Ulysse – Artavazd Sargsyan
Coqsigru – Pierre Derhet
Albinus – Didier Girauldon

Frédéric Rubay – piano

Constance Larrieu – mise en scène
Camille Vallat – scénographie et costumes
Gaspard Gauthier – lumières
Marie Bonnier – régie générale et régie plateau

Théâtre Marigny (Paris), 17 mars 2019
Production Bru Zane France, Coproduction Opéra de Reims, En coréalisation avec le Théâtre Marigny


Image

Et elle cria « Ulysse, Ulysse » pour qu’il revienne…

Créée le 21 août 1862 à Paris, au théâtre des Délassements-Comiques, soit deux ans avant La Belle Hélène, Le Retour d’Ulysse joue lui aussi sur les décalages anachroniques d’une mythologie joyeusement revisitée… Cet opéra bouffe en un acte est toutefois étoffé de numéros tirés de l’œuvre foutraque d’Hervé, le compositeur dit « toqué », ses quelques quarante minutes originelles satisfaisant mal les exigences des représentations actuelles. C’est donc à une bonne heure et quart d’ironie pétillante et de refrains entraînants que nous convie le Palazetto Bru Zane dans ce second opus de son festival d’opérettes.
En flagrant défi à l’œuvre de l’aède aveugle, Pénélope voit donc « trébucher sa vertu » (et non cascader, la nuance est d’importance !) comme elle l’affirme dans son grand air introductif à roulades, puisque son prétendant Coqsigru (seul rescapé des prétendants homériques, lesquels sont plaisamment présentés en couplets drolatiques ajoutés) lui apporte la « preuve » du décès d’Ulysse. Ce dernier les a notés sur sa tunique, promptement enfouie dans une bouteille jetée à la mer… L’esprit tranquille et les sens qui frétillent (c’est long, vingt ans !), Pénelope peut donc savourer à l’avance le souper fin qu’elle va offrir à un amant adoubé comme second époux par le premier… L’esclave Albinus (Didier Girauldon, souffre-douleur pince sans rire et fort bien chantant) a beau avoir été chargé par Ulysse de veiller sur la vertu de Madame, il n’en peut mais. Et voici que s’avance (à la nage, costume d’homme grenouille seyant en sus…) le revenant bien vivant, lequel décide de se faire passer pour l’esclave attendu par Pénélope pour espionner le couple (bientôt) illégitime. La suite n’est que chassés-croisés, Albinus ayant décidé d’avertir sa maîtresse avant qu’Ulysse ne commette l’irréparable… Et si l’amant n’est pas dans le placard, ce n’est que parce que la scène a été transportée sur un bord de plage où l’épouse délaissée, en maillot de bain doré (c’est une reine, enfin !) s’acharne à tricoter ce qu’elle a détricoté de nuit.

L’ironie est tout d’abord musicale : en un clin d’œil, Hervé nous gratifie des plus beaux oripeaux du Grand Opéra, lorgnant vers Meyerbeer et pastichant allégrement Rossini (Guillaume Tell en prend pour son grade…), allusions textuelles en pagaille et facsimilés presque parfait si ce n’étaient d’hilarantes erreurs de prosodies et des décalages de plus en plus marqués. L’entrée en scène du rôle-titre en est la preuve, air délivré avec la componction nécessaire et une grandeur narquoise idéale par Artavazd Sargsyan, qui tombe ensuite vite le masque avec les très amusants couplets des « pour Sceaux / pourceaux ». Sa moitié infidèle est campée avec humour et glamour par Marion Grange, voix charmeuse dont les aigus claironnent sa soif de sensualité, mais dont la diction reste parfois perfectible. L’amant dépité est incarné avec rondeur vocale et une vantardise (de maître-nageur bellâtre) ouvertement risible par Pierre Derhet ; sa séduction affichée qui passe également par la douceur du timbre et la netteté de sa diction. Les trois solistes principaux retrouvent l’harmonie qui faisait défaut à leurs espoirs dans des couplets vantant la « dive bouteille », enchaînés façons cabaret, avant un finale volontairement expédié qui se moque des happy ends de rigueur. Le livret est à l’avenant : les anachronismes et coqs-à-l’âne s’enchaînent, jouant sur les mots façon Almanach Vermot, dans une ambiance bon enfant qui ne laisse cependant aucune seconde de répit. Se démultipliant avec un dynamisme jamais pris en défaut et n’hésitant pas à donner de la voix, Frédéric Rubay est à lui seul un homme-orchestre. Sur lui repose également l’allant du spectacle.

Réglant cette comédie humaine avec une précision diabolique, Constance Larrieu tire avec adresse le meilleur parti d’une scène exiguë et réduite au ponton sur lequel se prélasse les amants (hormis les pataugeages du malheureux Albinus, réduit à nettoyer la mer de ses déchets). Les costumes colorés et évocateurs font le reste, la robe de plage à longue traine de Pénélope participant du comique des situations ; tandis que les lumières de Gaspard Gauthier nous transportent dans une carte postale archétypale qui fleure bon les vacances presque idéales de dessins animés. On peut cependant s’interroger : deviendrait-il d’usage de faire se dérouler les récits homériques dans une villégiature balnéaire ?

Emmanuelle Pesqué

Photographie (c) Thierry Guillaume.
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Re: Hervé - Le retour d'Ulysse - Th. Marigny 03/2019 (P. Bru Zane)

Message par pingpangpong » 19 mars 2019, 07:04

EdeB a écrit :
18 mars 2019, 23:17

Créée le 21 août 1862 à Paris, au théâtre des Délassements-Comiques, soit deux ans avant La Belle Hélène ....pastichant allégrement Rossini (Guillaume Tell en prend pour son grade…),
Emmanuelle Pesqué
Offenbach a donc "pompé" !!
Enfin elle avait fini ; nous poussâmes un gros soupir d'applaudissements !
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EdeB
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Re: Hervé - Le retour d'Ulysse - Th. Marigny 03/2019 (P. Bru Zane)

Message par EdeB » 20 mars 2019, 12:35

pingpangpong a écrit :
19 mars 2019, 07:04
EdeB a écrit :
18 mars 2019, 23:17

Créée le 21 août 1862 à Paris, au théâtre des Délassements-Comiques, soit deux ans avant La Belle Hélène ....pastichant allégrement Rossini (Guillaume Tell en prend pour son grade…),
Emmanuelle Pesqué
Offenbach a donc "pompé" !!
C'est aussi l'air du temps... et les détournements usuels du Grand Opéra. L'air d'entrée d'Ulysse m'a fait mourir de rire.

Par ailleurs, l'une des allusions (textuelle) à Guillaume Tell est assez fugace :

ROSSINI :
Aux chants joyeux qui retentissent,
Que nos accents plus doux s'unissent!
Célébrons tous en ce beau jour,
Le travail, l'hymen et l'amour.


HERVE :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b ... /f68.image
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b ... /f69.image
etc....

Pour les curieux qui ont raté ce spectacle, on trouve, sur le site de l'INA, les numéros musicaux enregistrés les uns derrières les autres (ce qui ne fait aucun sens...) avec une distribution prestigieuse : Denise Duval, Jean Giraudeau et Joseph Peyron (qui se prennent un peu trop au sérieux !)
https://www.ina.fr/audio/PHD89015180
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