Gounod - Faust - Davin/Poda - Liège - 01/2019

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Gounod - Faust - Davin/Poda - Liège - 01/2019

Message par JdeB » 21 janv. 2019, 11:53

Patrick Davin / Stefano Poda (Mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie)

Marc Laho : Faust
Anne-Catherine Gillet : Marguerite
Ildebrando d'Arcangelo : Mephisto
Lionel Lhote : Valentin
Na'ama Goldman : Siébel
Angélique Noldus : Dame Marthe
Kamel Ben Hsaïn Lachiri : Wagner

Liège, Opéra royal, le 23 janvier 2019.


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A la fin de la scène de l’église (Acte IV, scène 3), assaillie par les esprits du Mal, Marguerite s’exclame : «« Ah ! ce chant m’étouffe et m’oppresse ! Je suis dans le cercle de fer ! ». C’est ce cercle de fer, en mouvement perpétuel sur lui-même et dans l’univers forclos qu’il sillonne, qui unifie toute la scénographie de Stefano Poda et lui imprime quelque chose d’inexorable et d’inquiétant, où règne l’Anti-Nature, un théâtre d’apparitions et de Magie Noire. C’est un autre versant de la vie, comme un jardin d’Armide pétrifié, où la Nature imite l’Art qui imitait la nature, avec ses sublimes squelettes d’arbres blanchis dont les torsions rappellent la Victoire de Samothrace et l’art du drapé du Bernin revisité par Camille Claudel. Le tondo de l’anneau de Poda renvoyant furieusement à la forme du palais de l’enchanteresse syrienne qui a pour but, dans la Jérusalem délivrée, de faire échouer la première croisade…Et c’est d’ailleurs une croix chrétienne que Poda projette dans ce cercle, comme pour en neutraliser l’irradiation maléfique et le symbole de totalité globalisante…
A cette lecture tassienne se superpose une inspiration baudelairienne : le couvercle du ciel bas et lourd de Spleen, la forêt de symboles, le ballet des « larves » humaines de la Nuit de Walpurgis, le système de la mode, l’Anti-Nature…
Mais on peut aussi y voir comme une « forteresse vide » au sens de Bruno Bettelheim qui dans cet essai fameux de 1967 affirme, de manière controversée, que l’autisme infantile trouverait son origine dans la privation d'amour et d'empathie de la mère pour son enfant. Marguerite serait donc ici un archétype de la « mère réfrigérateur » et meurtrière que seul le Verbe qui s'est fait chair, le Fils de Dieu, peut absoudre et sauver.
Toujours sur le point de tomber du côté de l’esthétisant avec son goût pour la Haute Couture (Dame Marthe, de matrone provinciale, se métamorphose ici en gravure de mode sur la silhouette immense d’Angélique Noldus), et sa figuration d’une rare beauté, le spectacle fascine et tient en haleine de bout en bout d’une longue représentation qui n’omet rien de notable dans les variantes de la partition si ce n’est quelques moments du ballet (mais où le donne-t-on dans son intégralité ?)

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Que la France ait pu ignorer un artiste de l’importance de Poda de 1994 à 2016 (où Marc Clémeur, présent ce soir dans le public, lui commanda pour l’Opéra du Rhin un Elixir d’amour), semble incroyable alors que tant de fausses gloires de la mise en scène y sont célébrées. Enfin, on se réjouit de le retrouver à Toulouse en avril prochain pour une Ariane où la grande Sophie Koch abordera l’héroïne de Dukas.

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Marc Laho s’étrangle certes sur l’ut de Demeure chaste et pure et perd, par éclairs, le contrôle de sa ligne de chant mais excelle la plupart du temps dans le rôle-titre avec une diction d’une totale pureté et beaucoup de naturel dans l’émission.
Anne-Catherine Gillet se montre bien pale dans le Roi de Thulé mais nous offre par ailleurs une prise de rôle des plus réussies avec une voix fraîche et limpide, ductile et virtuose, beaucoup d’énergie et d’intelligence.
Après 30 ans de carrière au plus haut niveau Ildebrando d’Arcangelo n’a rien perdu de son charisme exceptionnel et de la somptuosité de son médium si dense et profond mais son français reste perfectible et son émission, souvent acérée et ironique à souhait, s’empâte parfois.
Lionel Lhôte nous transporte avec une mort de Valentin d’une rare violence envers Marguerite et d’une intensité tellurique. C’est du grand art !
Na’ama Goldman, excellente Fenena ici-même à l’automne 2016, passe un peu à côté de Siebel tandis qu’Angélique Noldus impressionne plus par sa taille démesurée et sa tenue grand style que par sa voix. Par contre le Wagner de Kamil Ben Hsaïn Lachiri laisse entrevoir un très riche potentiel.

A la tête d’un orchestre et des chœurs maison à leur meilleur, Patrick Davin est admirable de pureté stylistique et d’articulation du discours. Il met parfaitement en valeur les influences germaniques de Gounod dans ce chef d’œuvre écrit dans l’ombre portée de Weber et de Mendelssohn tout en soulignant son étonnante modernité.

Jérôme Pesqué

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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par Zemire » 22 janv. 2019, 14:39

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Images : Lionel Lhote et ORW

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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par Wim » 24 janv. 2019, 11:23

Hier soir première de Faust à Liège.
Mes intéressante et inventive. Assez simple en fait mais grâce aux éclairages toujours changeants, utilisée à fond et avec des résultats surprenants, évitant l'ennui. Le grand anneau domine la scène pendant toute la soirée, entouré par ce qui ressemble à un temple égyptien. Ça change du carton pâte... Logiquement Poda très applaudi aux saluts.

Côté chant masculin, acceptable mais aussi problématique à part le trop petit rôle de Valentin chanté par Lhote en grande forme (il était très bien aussi dans le récent Don Pasquale à La Monnaie).
Laho et D’Arcangelo ont des voix courtes qui peinent à projeter même dans une petite salle comme Liège. Laho a un médium attrayant mais l’aigu est difficile et il a raté la note la plus haute qu’il avait à chanter. Je la lui aurais facilement pardonnée si elle n’était pas symptomatique de sa prestation générale.
D’Arcangelo aboie trop et oublie de chanter avec des nuances.

Côté féminin, il y a la voix angélique de Gillet qui sied bien à Marguerite.
La Siebel par contre faisait mal aux oreilles avec une voix stridente à la limite du supportable.

La direction de Davin pourrait être un peu plus dynamique, avec plus d'élan mais généralement le chef sert bien cette belle musique que je ne connais pas très bien.
Les danseurs excellents, leurs costumes superbes.

En tout, une (longue - avec 2 intervalles, cela se termine à minuit) soirée plutôt agréable.

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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par JdeB » 24 janv. 2019, 13:56

Moi aussi j'y étais hier soir et je serai beaucoup plus enthousiaste que toi (critique en cours)
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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par Zemire » 24 janv. 2019, 18:43

J'ai assisté également à la représentation d'hier et j'étais également beaucoup plus enthousiaste au rideau final.
Côté mise en scène tout ne m'a pas plu : il y avait du bon et du cliché ... parfois l'esthétisme prenait le pas sur l'intrigue et le chant.
Oui, Marc Laho a craqué la note de fin de son grand air mais pour moi, le reste de la prestation était plus qu'honnête ; je suis plus d'accord sur D'Arcangelo toujours un peu cabotin et dont la voix manque de nuances mais malgré tout c'était une bonne prestation dans l'ensemble.
"Voix angélique" d'Anne-Catherine Gillet, oui bien sûr mais pas que ça ! Une diction parfaite, une voix à l'aise dans toutes les registres et une présence incroyable !
Grandissime Lionel Lhote ... que ce soit dans le burlesque avec Don Pasquale (Monnaie en novembre) ou dans le drame avec Valentin, sa voix fait merveille tout autant que sa présence en scène (même si à chaque fois, ses premières notes me font toujours craindre une mauvaise forme). Le trio Faust-Mephisto-Valentin était fabuleux et angoissant à souhait.
Bravo aussi à Kamel Ben Hsaïn Lachiri, élève sortant de l'IMEP (comme Pierre Derhet - Spoletta - dans Tosca, il y a quelques semaines).
Enorme bravo aussi à Patrick Davin d'avoir si bien mené un orchestre pas toujours des meilleurs ; belle prestation des choeurs également.
Chapeau aussi à tous ces chanteurs que le metteur en scène a placé bien souvent dans des positions périlleuses après des escalades éprouvantes !!!
Une excellente soirée comme je n'en n'avais plus connu depuis longtemps à Liège.

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Message par JdeB » 25 janv. 2019, 11:00

Je viens de publier ma critique de cette réussite majeure en tête de ce fil.
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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par dge » 25 janv. 2019, 11:57

Cette production crée à Turin ( avec C.Cartronovo, I.Lungu et la direction de Noseda) a fait l'objet d'un DVD.
Elle avait été très encensée par la critique.

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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par JdeB » 25 janv. 2019, 12:01

Cartronovo ? connais pas :mrgreen:

oui, en effet, preuve , comme je l'ai toujours dit, que la critique n'a aucun impact sur les décideurs français (et fort peu sur le public)

A propos d'enregistrement la reprise de Liège sera captée par Musiq3
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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par fomalhaut » 25 janv. 2019, 18:03

dge a écrit :
25 janv. 2019, 11:57
Cette production crée à Turin ( avec C.Cartronovo, I.Lungu et la direction de Noseda) a fait l'objet d'un DVD.
Elle avait été très encensée par la critique.
Je me souviens avoir lu quelques critiques à propos des représentations "turinoises" de cette production. Une des représentations avait été retransmise par RAI3 (Audio).
Par contre, je ne me souviens pas d'une diffusion video mais il existe bien CD et Blu-Ray :
https://www.amazon.fr/Gounod-Faust-ital ... unod+faust
https://www.amazon.fr/Gounod-Faust-Blu- ... unod+faust

Sait-on si une version video de ces représentations liégeoise sera diffusée ?

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Re: Gounod- Faust- Davin/Poda- Liège -01/2019

Message par Oylandoy » 27 janv. 2019, 16:03

Photos du CR de JdeB : Opera Royal de Wallonie-Liège
la mélodie est immorale
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