Autolycus a écrit : ↑14 janv. 2019, 10:54
JdeB a écrit : ↑11 janv. 2019, 09:55
oui, c'est bien ce qu'il a fait puisque dramma giocoso= tout opéra qui n’est pas du pur seria et n’obéissant pas à ses règles précises, pouvant donc aller d’un registre à l’autre.
Rappelons donc encore une fois : le terme "dramma giocoso" ne signifie rien de particulier, est courant à l'époque, et échangeable avec "opera buffa" - terme que Mozart lui-même utilise dans son catalogue à l'égard de Don Giovanni. Lo Speziale de Haydn est marqué "dramma giocoso", tout comme Cosi fan tutte d'aileurs.
Pour en finir (enfin, je l’espère !) sur la définition de « dramma giocoso »
Dramma giocoso et
opera buffa sont synonymes... et des
étiquettes opposées à opera seria, tout comme la comédie l'est de la tragédie (en ce qui concerne le théâtre).
Le terme a évolué et le genre a été aussi appellé
opera semi seria (dans un tout autre contexte, celui de Naples, en 1789, pour la
Nina Pazza per amore de Paisiello, mais là, on tombe dans le début du genre larmoyant) ou encore
commedia semiseria (comme la
Pie voleuse), et dérive ensuite jusqu'aux étiquettes de
tragicommedia au XIXe.
Dans toutes ces appellations
non seria (terme contemporain usité par les musicologues américains, mais relativement abandonné), on trouve également :
dramma giocoso
opera semi seria
dramma eroico (pas comique)
melodramma eroico giocoso (comédie)
opera buffa
burla
burletta
farsa
farsa giocosa
melodramma tocante il giocoso (j'ai lu ce truc quelque part, mais je ne me souviens plus où !)
etc etc etc
C'est un faux ami en français qui a tiré vers cette mauvaise interprétation fort répandue, à savoir que le
dramma giocoso était "dramatique" (dans le sens de "tragique, sérieux etc...") Il n’y a aucune « hybridation » de genre dans l’affaire. En l’instance, le fait que
Don Giovanni soit l'avatar d'une farce de tréteaux complique l'affaire, mais cela ne devrait pas. Le thème n'est pas plus "sérieux" que des tas d'autres
buffe donnés au Burgtheater, le théâtre de la Cour de Vienne.
Don Giovanni serait-il, comme beaucoup le pensent, un "drame joyeux/rigolo, donc tirant forcément sur la parodie"?
Pas du tout, c'est simplement un opéra qui n'est PAS de l’
opera seria, et qui utilise des structures littéraires et musicales
buffa avec ensembles, finales structurées de manière spécifique et mélange de tonalités des personnages.
C'est du "théâtre comique" opposé au "théâtre sérieux" (= noble). [Notons que, par ex, Ann Selina « Nancy » Storace qui a créé Susanna des
Nozze du Figaro, engagée comme "
prima buffa" était au début de sa carrière buffa spécialisée dans les personnages
semi serie et chantait systématiquement un
rondo ainsi qu'un machin à vocalise dans le genre
seria dans les premiers
opere buffe qu’elle a chanté à Vienne.]
Les subdivisions structurelles de la musique changent un peu de lieu en lieu, selon les époques, et s'infléchissent un peu selon les modes et les désidératas, mais l'opposition demeure, dans le sens où les personnages mis en scène sont forcément des personnages contemporains des spectateurs, avec des intrigues qui n'ont rien d'historique ni de mythologique, et dont les caractéristiques peuvent aller de la farce pure (issue de la
comedia dell'arte) à caractère
semi-serio.
Il est important de savoir que Vienne était un des laboratoires de l'évolution du genre sous Joseph II et que le cahier des charges du Burgtheater était très innovateur et très strict. Ce qui complique la chose, parce ce qui est valable pour Vienne ne l'est ni pour Paris, ni pour Milan, ni pour Naples etc... (En ce qui concernait Prague, Joseph II a prété son librettiste pour l’occasion et gardait un œil sur ce qui s’y passait…)
Ne pas oublier pour Vienne, où l'on ne donnait plus de
serie depuis belle l'heurette, que les chanteurs engagés au Burgtheater étaient TOUS des chanteurs qui avaient fait leurs preuves dans le
seria, même si on n'en représentait plus à Vienne... Cela fait quand même réfléchir sur le contexte spécifique de production de l'œuvre !
L’
opera buffa (et
Don Giovanni) n'est pas un genre mixte : c'est une des composantes normales du genre à Vienne. Le
buffa/giocoso etc.. n'est pas forcément du comique pur jus où l'on se bidonne en permanence : l'alternative est donc assez large, me semble-t-il.... Quant à parler d’hybridation et assurer que dans telle œuvre, on a 10% de
buffo et 30% de
serio, c'est totalement anachronique et hors de propos. Personne ne raisonne comme cela à l'époque : on a un genre aux règles relativement élastiques mais très précises, et qui n'est pas du
seria comme
Giulio Cesare, Mitridate ou Antigona par exemple !
Les personnages de Don Giovanni et l’ opera buffa
Les personnages de
Don Giovanni appartiennent à un spectre social élargi. S’il est nettement plus large que dans beaucoup d’
opere buffe qui se déroulent dans un cadre plus restreint, Anna et le commandeur, par exemple, sont des personnages appartenant à une typologie sociale qu'on trouve souvent dans ce type d'œuvres. Il n’y a donc rien de surprenant, et rien qui puisse étonner le spectateur d’alors.
On y trouve donc des personnages qui varient dans leur emploi et qui agissent selon le canevas logique de leur structure d'origine (Leporello comme un valet, Anna comme une aristocrate) : après, évidemment, cela crée des effets de structures intéressants, aussi bien dans le livret que dans la partition.
Par exemple, le personnage de la Comtesse dans
La Scuola de' Gelosi (de Salieri) a directement inspiré Da Ponte, lequel a piqué des tas de passages du texte, pour Elvire, et est déjà
semi serio. De même, on a des exemples d'aristocrates vengeresses dans le
buffa, la comtesse des
Nozze di Figaro n’en étant qu’un autre avatar. Ce n'est pas un thème exceptionnel.
Par contre, le Commandeur/statue et son ressort surnaturel sont perçus comme faisant partie, littérairement parlant, d'un vieux machin dramatique dépassé et même vulgaire, destiné aux enfants et au peuple... Cela fait partie du mythe de Don Juan donc on ne pouvait pas s'en passer... Ceci dit, je n'ouvre pas ici le débat sur ce que Mozart et Da Ponte ont tiré ou pas de cette étape obligatoire de l'histoire. Ce n'est pas mon propos. Seulement, de repréciser que le thème historique de Don Juan est considéré comme faisant partie du répertoire comique, de foire, vulgaire et dépassé, déjà dès la première mise en musique du thème, avec
l'Empio punito de Melani. (cf dossier d’œuvre sur ODB : )
Il faut aussi se rappeler des hurlements de protestations des chanteurs dans
Il Capricio drammatico de Bertati quand on leur propose de jouer/chanter
Don Juan en 1787 :
Ninetta (chanteuse) : L’action est invraisemblable ; le livret construit en dépit des règles ; la musique, je n’en sais rien, mais je présage qu’elle est encore pire.
L’imprésario Policastro : Mais croyez-vous donc que l’on fasse attention aux règles ? On fait attention aux goûts du public, et on se fait souvent plus d’argent avec des niaiseries qu’avec des oeuvres bien composées, bien réglées et intelligentes. (sc. 2)
Cavaliere Tempesta (amateur d'opéra) : J’ai vu la nouvelle affiche exposée sur la place. Don Giovanni ou le convive de Pierre.
Guerina (chanteuse) : Non. De pierre.
Cavaliere Tempesta : Que ce soit de Pierre ou de pierre, voici ce que dit l’affiche. Comédie en un acte. En musique. Ah, ah ! comment une comédie peut-elle être en musique ? Les opéras se font en musique ; mais les comédies s’écrivent toujours en prose, et j’ai décidé que la vôtre sera une belle et étonnante porcherie. (sc. 5)
Cavaliere Tempesta : Je me suis informé, cher imprésario : vous faites passer cela pour une nouveauté, mais c’est vieux, très vieux, plus vieux que l’invention du tournebroche. Les comédiens jouent ça depuis deux siècles, avec grand tapage, mais uniquement pour la canaille.
L’imprésario Policastro : Mais notre comédie bien qu’elle soit tirée de l’espagnole de Tirso de Molina et de celle de Molière et de celle que nos comédiens [de la commedia dell’arte], quelle qu’elle soit, elle n’a jamais encore été vue. (sc.9)
Pour mémoire, vous trouverez plusieurs dossiers sur Don Giovanni dans les dossiers ODB : joomfinal/index.php/les-dossiers/50-oeuvres ,
dont une
analyse montrant que le livret de Da Ponte de Don Giovanni s’insère dans un cadre de propagande de Joseph II qui publicisait ses réformes judiciaires visant à responsabiliser la noblesse…
joomfinal/index.php/les-dossiers/50-oeu ... e-a-la-loi
(Ce message est un toilettage de mes propos postés en 2005 sur
viewtopic.php?f=5&t=2223&start=130&hilit=dramma+giocoso )