Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid - 11/2018

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Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid - 11/2018

Message par Loïs » 18 nov. 2018, 01:07

Direction musicale : Miquel Ortega (compositeur)
Mise en scène : Bárbara Lluch
Bernarda Alba: NANCY FABIOLA HERRERA, Adela : CARMEN ROMEU, Poncia: LUIS CANSINO, Martirio: CAROL GARCÍA, Amelia :MARIFÉ NOGALES, Magdalena : BELÉN ELVIRA, Angustias: BERNA PERLES, Criada: MILAGROS MARTÍN, María Josefa: JULIETA SERRANO.
Orchestre de la Communauté de Madrid, Choeur del Teatro de La Zarzuela

La Maison de Bernarda Alba est la dernière œuvre de Lorca, écrite en 1936 (l’année de son assassinat par les Franquistes); elle sera créée à Buenos Aires en 1945. Miquel Ortega compose sa partition d'opéra en 3 actes entre 1991 et 2006, pour une création en Roumanie (Brasov) en 2007 puis en Espagne aux festivals de Santander et de Peralada. Aujourd’hui il réécrit l’œuvre en version de chambre pour le Théatre de la Zarzuela à Madrid.
Le livret repose pratiquement dans son intégralité dans le texte original. Seules quelques scènes ont été supprimées et certains personnages secondaires éliminés. Il s’agit donc avant tout du texte de Lorca dans sa violence intacte qui vous saute à la figure et qui s’imprime dans chacune des fibres du corps des interprètes et du public et cautérise au fer brûlant leurs/vos chairs à vif.

Un très grand moment, C.R. suit

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par HELENE ADAM » 18 nov. 2018, 10:58

Loïs a écrit :
18 nov. 2018, 01:07
La Maison de Bernarda Alba est la dernière œuvre de Lorca, écrite en 1936 (l’année de son assassinat par les Franquistes);
Un très grand moment, C.R. suit
J'avais monté et joué la pièce au lycée dans des temps immémoriaux, un grand souvenir que tu viens de raviver ! Super ! :D
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par philipppe » 18 nov. 2018, 11:29

HELENE ADAM a écrit :
18 nov. 2018, 10:58
Loïs a écrit :
18 nov. 2018, 01:07
La Maison de Bernarda Alba est la dernière œuvre de Lorca, écrite en 1936 (l’année de son assassinat par les Franquistes);
Un très grand moment, C.R. suit
J'avais monté et joué la pièce au lycée dans des temps immémoriaux, un grand souvenir que tu viens de raviver ! Super ! :D
On a pu voir une adaptation en ballet de ce classique moderne il y a quelques années à l’opera de Paris (Mats Ek)
J’aimerais découvrir cet opéra , aussi.

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par Loïs » 20 nov. 2018, 08:15

L’histoire débute avec Bernarda Alba, andalouse de 60 ans, veuve pour la seconde fois, qui décide d'observer un deuil très strict de huit ans et impose à ses cinq filles un enfermement dans la ferme familiale, aucun contact avec l’extérieur et tenue noire de rigueur. On imagine aisément l’impact pour des jeunes filles ou jeunes femmes qui rêvent de sorties, de toilettes et d’amoureux.
Il y aura une exception pour l’ainée Angustias qui doit épouser Pepe el romano et hériter de la majorité de la fortune paternelle. Les deux évènements semblent d’ailleurs liés : Angustias âgée de 39 ans et laide ne pourrait avoir de telles prétentions sur un beau jeune homme de 25 ans. Et ce d’autant plus que Pepe est amoureux d’Adèle (la plus jeune et la plus belle). Cet amour est réciproque. Si vous ajoutez à cela les espoirs et les blessures de chacune (Misterio notamment qui s’estime heureuse que Dieu l’ait faite laide pour ne pas être harcelée par les hommes mais qui souffre d’un amour trahi)et les espionnages, médisances et jalousies de cet univers clos (auquel appartiennent aussi deux servantes à qui l’ont fait sentir leur basse extraction et une grand-mère folle qui rêve de se marier et d’enfanter) vous obtenez un sacré bouillon de culture dans lequel sont maintenues les femmes en Andalousie à cette époque.
Bouillon de culture n’est pas d’ailleurs la meilleure image car on ne peut pas parler d’ambiance poisseuse : la chaleur et le soleil dessèchent tout : l’amour maternel se réduit aux os blanchis du qu’en dira t’on, l’amour fraternel s’agrège en jalousie. Cette chaleur et ce soleil embrasent aussi les pensées et les passions tout comme les cuisses, la bouche et l’imagination d’Adèle.
Le souffle brûlant de l’air ne peut qu’autoriser des phrases brèves et aucun mot qui ne soit un concentré de sens (voire de plusieurs). Toute parole est économe mais aussi acérée, tranchante et signifiante.
Seul moment où le dramaturge redevient poète : la parole libérée de la vieille folle qui offre cette luxuriance verbale et d’images propre à Garcia Lorca.
Bien entendu, cette terre assoiffée réclame son dû de sang. La vérité découverte (Adèle se donne la nuit à Pepe), la jeune soeur se suicide pendant que sa mère crie à tous : « ma fille est morte vierge ». La pièce s’ouvre et se referme sur la mort.

Ortega prend clairement le parti de la fidélité absolue et du respect au texte original : ni réécriture ni ajout, seulement quelques coupures mineures qui concentrent encore plus l’action. Le texte sec et tranchant réclame une musique ascétique et dont toute chair a disparu, elle aussi brûlée par le soleil omniprésent. J’ai toujours eu l’impression de suivre un récitatif (voire recitativo secco) qui accompagne le texte et dont les couleurs accentuent chaque mot et teintent l’oppression qui nous étouffe d’acte en acte. Il y aura très peu de lignes (surtout pas de pages superfétatoires) mélodiques dont le parfum est nettement espagnol mais aussi déjà entendu.
Aussi je ne saurais qualifier la partition tant elle n’a pas d’existence hors du texte. Il n’y a pas de réelle imagination mais un choix (je pense délibéré et assumé) de servir la tragédie inouïe et ultime d’un des plus grands écrivains du XXème siècle. Alors si je ne m’extasie pas face au compositeur, je salue de la plus grande reconnaissance l’artisan serviteur de Lorca.

Bárbara Lluch (mise en scène) considère l’oeuvre comme « le meilleur livret de l’histoire de l’opéra ». Elle aussi ne cherche pas à ajouter ou modifier quoi que ce soit. Elle traduit seulement (et ce « seulement » a une grande signification) en espace et en jeu ces mots semblables à la pierre incandescente et coupante des chemins andalous, si souvent mise en poème par Lorca par ailleurs.
Elle a aidé les interprètes à laisser jaillir la violence qui couvait en elles et que corsetaient ces tenues noires et cette morgue socialement obligatoires. Là aussi grand merci.

Il fallait un plateau vocal d’envergure et nous l’eûmes. Un plateau vocal presque exclusivement féminin (Pepe comme l’Alésienne est au centre de toutes les conversations mais n’apparait pas), seule la première servante est interprétée par un baryton (soulignant son côté hors d’âge et hors sexe auxquels relègue sa position, en plus fille de prostituée). Le grand Luis Cansino confère par la perfection de sa diction et l’autorité de son chant une dimension de chœur antique au personnage qui assiste et commente la fin inéluctable du drame.

Les deux premiers rôles féminins (Bernarda & Adela), mezzo dramatique et grand soprano lyrique, rivalisent de sauts dans les octaves et de phases à la ligne de chant aigüe terriblement tendue. L’extrême en rigueur(s) de l’une (au menton toujours relevé) et en passions de l’autre (avec une sensualité se muant en érotisme agressif) poussent Fabiola Herrera et Romeu dans leurs derniers retranchements et ne leur laissent aucune échappatoire hors de l’engagement total (il est vrai que plusieurs aigus leur seront difficiles d’attaque). On ne doit pas sortir indemnes de tes rôles. L’expérience et la maîtrise de Nancy Fabiola Herrera nous glacent pendant 1 :40 mais savent aussi nous offrir cette dernière vision schizophrénique : alors que les mots terribles (« entendez bien , ma fille est morte vierge ») se répètent, on entend son âme se déchirer et son corps lutter entre l’affaissement et cette canne qui l’aide à se redresser et à continuer à redresser un menton dont elle ne peut contenir le tremblement.
La jeune Carmen Romeu, remarquée l’an dernier à l’opéra des Flandres en Armida, devient une torche s’auto enflammant à la pensée des bras de Pepe et dans une progression de plus en plus tendue, le corps courbé sous l’effort, elle laisse jaillir ou plutôt propulse hors d’elle sa soif irrépressible d’amour et de vivre, de faire exploser le carcan traditionnel qui l’enserre et l’étouffe. Incontestablement une artiste à suivre avec un timbre plutôt sombre pour ce type de voix mais qui convient parfaitement au rôle.
Carol Garcia séduit immédiatement par une homogénéité de timbre sans faille et même lors des tensions elle ne perdra jamais le contrôle de sa voix. Elle sait habiter son personnage et révéler que loin d’être le vilain petit canard de la famille qui accepte son sort, son renoncement aux plaisirs de la vie eut un prix et que son rôle de témoin muet (de moins en moins d’ailleurs car c’est elle qui révélera l’histoire) n’est pas dicté par la mesquinerie mais par l’amour.
Rien à redire des seconds rôles Marifé Nogales, Belen Elvira, Berna Perles & Milagros Martin : elles tiennent toutes leurs places et savent donner à chacun de leur rôle sa personnalité.
Mention particulière pour Julieta Serrano, actrice espagnole au palmarès glorieux depuis les années 60, qui compose une vieille folle à l’excentricité terriblement poétique en deux uniques et si courts répits mais qui scintillent comme des joyaux dans ce paysage de pierres blanchies par le soleil écrasant.

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par HELENE ADAM » 20 nov. 2018, 13:08

Merci pour ce CR (je suis toute émue).
La pièce de Lorca faisait partie d'une trilogie comprenant deux autres "drames paysans andalous " analysant l'étouffement des vies dans la société étriquée et bourrée de préjugés de l'Espagne d'alors, Les noces de sang et Yerma.
Fervent républicain très engagé, Lorca a été sommairement exécuté par la milice franquiste en 1936 à Grenade. Son oeuvre a longtemps été interdite dans l'Espagne de Franco....

Romancero gitano (1928) de Federico García Lorca
ROMANCE DE LA LUNA, LUNA (extrait)

LA luna vino a la fragua
con su polisón de nardos.
El niño la mira, mira.
El niño la está mirando.
En el aire conmovido
mueve la luna sus brazos
y enseña, lúbrica y pura,
sus senos de duro estaño.
Huye luna, luna, luna.
Si vinieran los gitanos,


Jean Ferrat, Federico Garcia
Dans ta voix
Galopaient des cavaliers
Et les gitans étonnés
Levaient leurs yeux de bronze et d'or
Si ta voix se brisa
Voilà plus de vingt ans qu'elle résonne encore
Federico García
Lui : Que sous mes pieds se déchire la terre ! que sur mon front éclate le tonnerre, je t'aime, Élisabeth ! Le monde est oublié !
Elle : Eh bien ! donc, frappez votre père ! venez, de son meurtre souillé, traîner à l'autel votre mère

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par philipppe » 20 nov. 2018, 13:49

ce compte rendu est en effet interressant, on aimerait decouvir l'opera.

HS : A propos des adaptations musicales de textes de Lorca, j'aimerais citer l'oeuvre de Maurice Ohana : LLanto por Ignacio Sánchez Mejías. une belle oeuvre à decouvrir. fin du HS !

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Re: Ortega - La casa de Bernarda Alba - Ortega/LLuch - Madrid (Teatro de la Zarzuela)- 11/2018

Message par Loïs » 20 nov. 2018, 15:47

Julieta Serrano (85 ans) dans la rôle de la vieille folle (Maria Josefa)
Désolé pour les non hispanophiles mais je ne saurais traduire des mots dont la musicalité a un sens et les allusions et rebonds un autre:
María Josefa:
Ovejita, niño mío,
vámonos a la orilla del mar.
La hormiguita estará en su puerta,
yo te daré la teta y el pan.
Bernarda,
cara de leoparda.
Magdalena,
cara de hiena.
¡Ovejita!
Meee, meee.
Vamos a los ramos del portal de Belén.(Ríe)
Ni tú ni yo queremos dormir.
La puerta sola se abrirá
y en la playa nos meteremos
en una choza de coral.
Bernarda,
cara de leoparda.
Magdalena,
cara de hiena.
¡Ovejita!
Meee, meee.
Vamos a los ramos del portal de Belén!

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