Mon festival Berlioz 2018

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JdeB
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Mon festival Berlioz 2018

Message par JdeB » 03 sept. 2018, 14:04

L’œil écoute chez Berlioz

Privilège rare, qu’il partage avec Ravel pour la France, Berlioz possède un festival à son nom dans la ville qui l’a vu naître le 11 décembre 1803: La Côte-Saint-André. Ce festival de l'Isère est même le plus ancien de France, avec les Chorégies d’Orange, puisqu’il date de 1870, un an à peine après le décès du compositeur !
De sa longue histoire, marqué par une vaste parenthèse, un détour par Lyon sous l’égide de Serge Baudo et une renaissance in loco il y a 19 ans, l’amateur d’art lyrique reteindra une représentation mémorable de La Damnation de Faust le 7 juillet 1935 (et non en 1930 comme on le lit sur Wikipedia ou dans de vieux éditoriaux du festival) avec Ninon Vallin, Frédéric Anspach, le futur professeur de José Van Dam, et Charles Panzéra, concert que Paul Claudel, venu en trainant les pieds pour faire plaisir à une sommité politique d'alors, a vécu comme un éblouissement et une révélation (« Illuminé par cette splendeur généreuse, je voyais tout le Dauphiné devant moi passer de l’or à la neige, des moissons de la plaine à celles de l’altitude et s’ouvrir sous les regards comme les pages d’une partition sublime. Je comprenais à la voix du génie les trois éléments dont respire ce paysage orchestral : la lumière, la composition et le mouvement. »). Et c'est bien de mouvement dont il sera question ici !

Depuis dix éditions, Bruno Messina, ethno-musicologue au Conservatoire de Paris et désormais grand ordonnateur de l’année Berlioz qui nous attend, préside aux destinées de la manifestation et multiplie les concerts gratuits, les expériences qui sortent des sentiers battus, et les événements populaires et médiatiques dont « lui seul, a le secret suprême »... En 2011 la Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet, dirigée par FX Roth, s’est conclue de tonitruante façon par des tirs de mousquets à l’odeur entêtante…Pour la Fantastique il fit venir des cloches d’Allemagne qui retentirent lors du « Songe d’une nuit de sabbat ». L’édition 2012 placée sous le signe de « Berlioz et l’Italie » s’est ouverte sur un corso carnavalesque alla romana et conclue par un Requiem servi par une phalange de 450 artistes devant une salle où les gradins habituels avaient fait place à une pelouse artificielle pour concert pique-nique…Il y eut aussi le mémorable « concert monstre » de 2014 à l’usine-dortoir de Saint-Siméon de Bressieux avec sa masse orchestrale impressionnante, la polémique sur La Marseillaise (Faut-il se lever lorsqu’elle est donnée en concert ? oui, mais celle de Berlioz n’est pas vraiment notre hymne national…), l’envol du chef en montgolfière d’époque restaurée et la soirée brésilienne (où Berlioz ne s’est pas rendu malgré l’invitation de l’Empereur à Rio, comme il n’a pas donné suite à Steinway qui voulait l’engager à New York), le feux d’artifices sans couleurs ou presque mais d’un charme infini de l’an dernier sur les Royal Fireworks de Haendel, …tant de souvenirs entêtants conservés avec émotion par les festivaliers. On en parle souvent avec ma logeuse, Michelle Berger, une femme de lettres auteur de trois ouvrages et pilier de la vie locale via l’Association Ninon Vallin. Comme nous parlons de son grand projet de célébration de l’autre grande figure artistique de La Côte, le peintre hollandais Jongkind, le mentor de Monet, qui a passé ici les 13 dernières années de sa vie et y est enterré.

Mais revenons à Berlioz !

Cette année, la fidélité inébranlable de Bruno Messina aux « sociétaires » du festival de ne se dément pas mais deux découvertes enthousiasmantes m’ont marqué tandis que la tendance était bel et bien à la mise en espace et au mouvement (parade équestre du dimanche 26 août, Vêpres de la Vierge de Monteverdi accompagnée des évolutions chorégraphiques de l’étoile japonaise Rihoko Sato, version « cinétique » d’Harold en Italie) et, sous le thème du sacré, à l’entrée au répertoire du festival de nouveaux noms illustres : Haydn (La Création par L. Equilbey), de Martini (Messe des Morts par Niquet), de Marcello (Psaumes de David), de Monteverdi donc et de Bach. Sans oublier Les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésuss de Messiaen donnés de mémoire (le cycle dure pourtant deux heures et quart !) par Roger Muraro avec une variété de coloris rarissimes où éclats torrentiels, dignes du sublime kantien éprouvé devant les avalanches, et douceur angélique et d’extases attendries alternaient de manière fulgurante.

Le sublime nous y avons gouté deux fois grâce à John Eliot Gardiner (Jean Elie Jardinier comme dit l’ami Pierre-René Serna qui sort cet automne un nouvel opus Café Berlioz, vendu en avant-première au Musée Berlioz, et qui m’a parlé du projet de notre compositeur de mettre en musique Salammbô de Flaubert, projet que son discipline Ernst Reyer accomplira)
Son premier concert de l’été 2018 avait lieu dans le cadre étonnant de l’église abbatiale de Saint-Antoine l’Abbaye, village médiéval de grand caractère, avec des Cantates de Bach mises en rehauts et reliefs, exaltées comme sur un somptueux vitrail-rosace inondé de lumières zénithales, de manière épique et michelangelesque par le grand héraut de Bach du temps présent. Les parties de chœur étaient portées à incandescence par une colonie de solistes, dont le plus connu était le baryton berlinois Dietrich Henschel et le plus mis en avant et acclamé, le contre-ténor, jazzman à ses heures, Reginald Mobley, au timbre soyeux et velouté, au legato noble et au style de haute école. Tous étaient touchés par la Grâce et le grand souffle de l’Éloquence sacrée.

Le lendemain, jeudi 30 août, nous fumes précipités de ses cimes jubilatoires dans les flottements médiocres de l’exhumation du Temple universel, ouvrage que l’on doit découvrir au disque par Désormières ou Norrington, et qui ce soir, privé des effectifs pléthoriques rêvés par Berlioz, du nombre d’heures de répétions nécessaires peut-être et, sans nul doute, mis à mal par un ratio choristes amateurs / choristes professionnels bancal, se fracasse comme une tour de Babel (l’anglais et le français s’y côtoyant mais réduits ici à un volapuk) qui va comme un grand cadavre à la renverse. Conscient du désastre, François-Xavier Roth a éprouvé bien du mal à entrer dans la Neuvième Symphonie avant d’y faire entendre des détails si peu éclairés par ses confrères et de retrouver quelque chose de parfaitement articulé, de discursif, de lumineux et, par éclairs, de galvanisant.

Le dernier soir de mon séjour, son mentor en Berlioz, John Eliot Gardiner donnait un concert entièrement dédié au maître des lieux dans la cour du château Louis XI. Lucile Richardot avait la lourde tâche d’y interpréter La Mort de Cléopâtre après Jessye Norman avec Antal Dorati (1981), Béatrice Uria-Monzon (2001 et 2006), Anne-Sofie Von Otter avec Marc Minkowski (2010) et Anna-Caterina Antonacci (2012). Elle y déploya une voix longue et puissante, d’orgue et de cothurne, une diction crespinienne et un sens tragique noble et altier avant de miner, au bord de l’estrade du chef, l’ultime effondrement de la fille des Pharaons. A ce diapason à 338 elle était poussée par un orchestre implacable comme un destin contraire dans les derniers retranchements de ses notes extrêmes, avec des fins de phrase inaccomplies parfois, mais toujours, un impact de foudre. Dans la mort de Didon elle fut excellente aussi mais moins prenante cependant, se souvenant de la leçon éternelle de Crespin qui la chanta ici, ainsi que Cassandre, en bas du château, sous la Halle médiévale, le 17 juin 1969 pour Les Troyens du centenaire.
Après l’alto, l’altiste et ce fut Antoine Tamestit qui, dans une version de flux et de reflux scéniques, wanderer anglais aimanté par le Sud et les grands soleils d’Italie, déambula avec une virtuosité à la Vieuxtemps, entre les pupitres et leurs étagements tandis que Gardiner confirmait sa suprématie mondiale sur ce répertoire aussi et faisait chanter, au propre comme au figuré, son orchestre comme dans une caverne maltaise aux échos enchanteurs.

Et nous vivions tout cela, ce grand théâtre d’images sonores et cette grande mouvance des gestes, dans l’espoir d’une grandiose édition des 150 ans, l’été prochain.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
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Re: Mon festival Berlioz 2018

Message par srourours » 03 sept. 2018, 15:01

On parle des Troyens pour l'année prochaine. En as-tu un semblant de confirmation ou d'écho? Sinon superbe CR d'un festival à l'ambiance si particulière!

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Re: Mon festival Berlioz 2018

Message par JdeB » 04 sept. 2018, 07:30

Merci beaucoup Etienne!

C'est rare un festival avec une âme comme le Berlioz :D

Oui, cela fait plusieurs années que j'annonce ces Troyens dirigés par Gardiner, peut-être en deux soirées au Théâtre antique de Vienne, dans une version de concert archi-intégrale. Croisons les doigts !
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Re: Mon festival Berlioz 2018

Message par JdeB » 08 janv. 2019, 18:39

En fait ce serait plus probablement cet été 2019 Les Troyens à Carthage par FX Roth (et la seconde partie en 2020 ?) et Benvenuto Cellini dirigé par Gardiner avec une thématique sur la fortune artistique de Berlioz (Ravel, l'école russe, etc)

La population locale est invitée à construire un Cheval de Troie ! :D
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