Et bien moi, une des raisons pour laquelle je ne voulais pas rater ce Macbeth, c'est justement pour le choc
Netrebko/Domingo. Ce n'est pas tous les soirs que deux monstres sacrés se rencontrent sur une scène et franchement, si certains n'ont pas aimé, ce n'est pas mon cas au contraire. J'ai trouvé ce duo fascinant, dans deux des rôles les plus remarquables, deux personnages emblématiques de Shakespeare et de Verdi, dans cet opéra sombre, sinistre et cruel.
La mise en scène volontairement théatrale a été créée pour l'occasion par
Kupfer qui a expliqué le défi que représentait pour lui la direction de ces deux superstars, alors même qu'il dirigea Domingo dans sa première Walkyrie. Et franchement, je n'ai trouvé cette formidable direction d'acteurs, ni outrée ni caricaturale. Le choix de
Kupfer est clair : Lady Macbeth est une manipulatrice parce que nous sommes dans une société où les femmes ne peuvent pas accéder au pouvoir. Elle assouvit son désir de domination par mari interposé, il est une marionnette entre ses mains, il sera le jouet du destin qu'il prétend pourtant dominer.
Le contexte est celui d'une dictature sud américaine mais il n'a que peu d'importance (à part cette successions de coups d'état où le meurtre permet l'accession au pouvoir). Tout se joue dans le quasi-même décor de marbre avec grand baie vitrée dans le fond, les sofas sont d'un blanc éclatant puis d'un noir sinistre, le sang s'immisce partout, au dehors des vidéos superbes se succèdent.
Mais au delà de la mise en scène, qu'on aime ou pas, il y a
Anna Netrebko en Lady et
Placido Domingo en Macbeth. Jeu halluciné, soif de pouvoir et de sang, manipulations puis folie, tout passe dans leur chant comme dans leur jeu scénique.
Vocalement, il y aurait bien sûr à redire :
Anna Netrebko a désormais une voix surtout sublime dans le medium et dans les graves, des aigus très beaux jusqu'à un certain niveau où ils s'amenuisent souvent, signe de petites difficultés (je comprends qu'elle n'aurait certainement pas pu chanter Violetta il y a quelques mois, sa voix a franchement évolué vers le dramatique, elle est mûre pour Turandot...). Mais globalement ce qu'il faut retenir c'est à quel point elle habille ce rôle de toutes les facettes de son immense talent. Elle est "Lady". Et sa scène du somnambulisme comme je l'ai déjà écrit plus haut, est proprement inouie. Jamais vu du si grand art depuis longtemps, depuis des années... Anna est faite pour ce rôle à un point incroyable. Bien plus que dans Aida où elle ne m'avait guère convaincue par exemple, malgré les tonnes d'éloges habituels...
Quant à
Domingo, évidemment qu'il n'est pas un vrai baryton et sûr que ça s'entend. Mais quelle énergie à son âge, pour jouer pour chanter, pour se démener, pour être Macbeth. On a parfois l'impression qu'il ne chante plus tout à fait (dans les ensembles) puis il reprend de plus belle avec ce charisme à nul autre pareil. Alors oui, ce choc des talents est impressionnant, ne vous laisse pas une minute de répit et, quant à moi, m'a émue jusqu'aux larmes.
Dommage que la direction
Barenboim soit un poil molle dans les moments tragiques de ce sombre opéra et ne soutienne pas toujours les efforts des deux héros, dommage aussi que les autres soient si pâles, un Banquo chevrotant au vibrato envahissant dont la voix paraissait plus âgée que celle de Domingo, un Malcolm inaudible, un Macduff ridicule, dommage.
Mais l'essentiel y était.