Re: Verdi - Ernani - Foster/Grinda - Marseille - 06/2018
Posté : 11 juin 2018, 13:14
Représentation du dimanche 10 juin, 14h30
Meilleures lumières : les chanteurs
« A peuple nouveau, art nouveau » écrit Hugo dans sa préface d’Hernani. Force est de constater que la citation paraît bien incongrue à l’issue de cette représentation dominicale du dramma lirico de Verdi à l’Opéra de Marseille. Mais ne soyons pas mauvaises langues pour autant…
Saluons tout d’abord le choix si bienvenu de la direction de programmer pour la troisième fois en 42 ans cette œuvre charnière du jeune Verdi quand d’autres maisons, aussi attachées au maestro soient-elles, semblent copieusement l’ignorer…
Mais mauvaise nouvelle avant le lever du rideau. Dans le cadre du mouvement social, une partie du personnel technique est en grève et la représentation sera privée de ses lumières et d’une partie des accessoires et mouvements de décor. Le plateau se retrouve donc éclairé du début à la fin d’une lumière unique comme pour une séance de travail.Très difficile dans ces conditions d’apprécier la production de Jean-Louis Grinda créée à Monte-Carlo en 2014 (avec déjà Tézier et Vinogradov) puis reprise à Liège l’année suivante. Quelle cruauté pourrait-on même dire. Car cet aléa dont l’équipe artistique n’est en rien responsable ne fait que mettre plus en avant les lacunes évidentes de cette production. Que voit-on alors ? Une direction d’acteurs pratiquement inexistante et des costumes bien pâles dignes d’un son et lumière Renaissance au Puy-du-Fou. Notons tout de même l’intérêt esthétique apporté par le grand miroir en oblique (vu plusieurs fois chez Günter Krämer) reflétant notamment le sol du tombeau de Charlemagne au troisième acte, et l’efficace lever de rideau sur les courtisans vêtus de blanc pour célébrer en dansant les noces d’Elvira et de Don Juan d’Aragon au dernier tableau. Effet réussi, même si les chœurs sont de nouveau en rang d’oignons et s’animent fort peu scéniquement comme tout au long du spectacle. Passons, et gageons que nombre des déconvenues sont dues aujourd’hui à ce malheureux contexte.
Heureusement, l’opéra c’est aussi un orchestre et des chanteurs. Et on peut dire sans hésiter que tous, fort capables, sauvent et magnifient la représentation. Le quatuor vocal principal est alléchant, et il ne déçoit pas. Il fait même parfois des miracles.
Francesco Meli et Ludovic Tézier sont probablement aujourd’hui les meilleurs interprètes d’Ernani et de Don Carlo. Ils se taillent d’ailleurs la part du lion aux saluts suivis de près par l’étonnamment jeune Silva d’Alexander Vinogradov. Hui He n’est pas en reste pour autant et parvient à se faire une belle place face à ce redoutable trio masculin. Effectuant ses débuts sur la scène marseillaise (tout comme Meli et Vinogradov) mais aussi sa prise de rôle en Elvira, l’interprète surprend avec bonheur en affrontant avec succès son air d’entrée. Tout est en place, en particulier l’agilité des vocalises et une légèreté qu’on ne lui connaissait pas tout en conservant un aigu charnu et sonore. L’assurance s’accroît au fil du spectacle et tout juste pourrait-on souhaiter un peu plus d’insolence vocale et des graves plus présents.
De volume et d’insolence, la gent masculine n’en manque pas. Francesco Meli ouvre le bal avec un chant ample, très musical, nuancé et vaillant même si on aimerait plus de variété dans les couleurs et un engagement scénique plus constant. Un peu en retrait en milieu de représentation, le ténor italien retrouve sa superbe et son panache au dernier tableau pour une scène finale efficace.
Ludovic Tézier lui aussi est parfois confronté à des épisodes monolithiques en première partie. Si l’on se réfère à son récent Rodrigo à Bastille, preuve en est encore une fois que l’on chante toujours avec davantage d’inspiration quand on est activement dirigé par son metteur en scène. Toute proportion gardée, l’enfant du pays s’en tire habilement grâce à une tessiture et à un souffle parfaitement maîtrisés, et un italien d’une grande éloquence qui font de lui l’un des plus grands barytons verdiens de notre époque. Succès attendu et mérité pour son air après l’entracte, où toute son intelligence de style s’exprime pour créer une vraie tension dramatique.
Grand styliste également, Alexander Vinogradov ne fait qu’une bouchée de son air d’entrée d’une voix très noble et profonde sans jamais sacrifier la clarté de l’émission. On le sent plus préoccupé par la suite, notamment par ses aigus, avant d’apprendre après l’entracte que le chanteur est souffrant mais assurera la fin de la représentation. Mal à l’aise dans sa perruque et sa barbe grisonnantes d’apôtre du Christ et prisonnier d’une gestuelle parcimonieuse mais ô combien caricaturale et outrée qu’on se demande s’il ne s’agit pas là d’une parodie de divinité ou de vieux barbon dans une opérette, la basse se défait de tous ces artifices au troisième acte, forcé par les circonstances de se rendre à l’évidence qu’il est encore bien trop frais pour être crédible en oncle Silva. Le chanteur assure néanmoins avec courage et pertinence la partie vocale jusqu’à la fin.
Les comprimarios soutiennent efficacement ce quatuor. Citons la brillance de Christophe Berry en Don Riccardo et l’abatage d’Antoine Garcin en Jago.
L’orchestre est également un réel soutien pour le plateau, conduit par un Lawrence Foster qui connaît son Verdi sur le bout des doigts. Très attentif aux chanteurs, le chef sculpte un beau son très homogène d’un bout à l’autre de la partition. Quelques légers décalages avec les chœurs qui sont malheureusement trop souvent couverts par les cuivres et les percussions empêchent de recevoir pleinement l’homogénéité sonore, le caractère, les nuances et les ruptures de l’ensemble préparé par Emmanuel Trenque.
Théo Orlowski
Meilleures lumières : les chanteurs
« A peuple nouveau, art nouveau » écrit Hugo dans sa préface d’Hernani. Force est de constater que la citation paraît bien incongrue à l’issue de cette représentation dominicale du dramma lirico de Verdi à l’Opéra de Marseille. Mais ne soyons pas mauvaises langues pour autant…
Saluons tout d’abord le choix si bienvenu de la direction de programmer pour la troisième fois en 42 ans cette œuvre charnière du jeune Verdi quand d’autres maisons, aussi attachées au maestro soient-elles, semblent copieusement l’ignorer…
Mais mauvaise nouvelle avant le lever du rideau. Dans le cadre du mouvement social, une partie du personnel technique est en grève et la représentation sera privée de ses lumières et d’une partie des accessoires et mouvements de décor. Le plateau se retrouve donc éclairé du début à la fin d’une lumière unique comme pour une séance de travail.Très difficile dans ces conditions d’apprécier la production de Jean-Louis Grinda créée à Monte-Carlo en 2014 (avec déjà Tézier et Vinogradov) puis reprise à Liège l’année suivante. Quelle cruauté pourrait-on même dire. Car cet aléa dont l’équipe artistique n’est en rien responsable ne fait que mettre plus en avant les lacunes évidentes de cette production. Que voit-on alors ? Une direction d’acteurs pratiquement inexistante et des costumes bien pâles dignes d’un son et lumière Renaissance au Puy-du-Fou. Notons tout de même l’intérêt esthétique apporté par le grand miroir en oblique (vu plusieurs fois chez Günter Krämer) reflétant notamment le sol du tombeau de Charlemagne au troisième acte, et l’efficace lever de rideau sur les courtisans vêtus de blanc pour célébrer en dansant les noces d’Elvira et de Don Juan d’Aragon au dernier tableau. Effet réussi, même si les chœurs sont de nouveau en rang d’oignons et s’animent fort peu scéniquement comme tout au long du spectacle. Passons, et gageons que nombre des déconvenues sont dues aujourd’hui à ce malheureux contexte.
Heureusement, l’opéra c’est aussi un orchestre et des chanteurs. Et on peut dire sans hésiter que tous, fort capables, sauvent et magnifient la représentation. Le quatuor vocal principal est alléchant, et il ne déçoit pas. Il fait même parfois des miracles.
Francesco Meli et Ludovic Tézier sont probablement aujourd’hui les meilleurs interprètes d’Ernani et de Don Carlo. Ils se taillent d’ailleurs la part du lion aux saluts suivis de près par l’étonnamment jeune Silva d’Alexander Vinogradov. Hui He n’est pas en reste pour autant et parvient à se faire une belle place face à ce redoutable trio masculin. Effectuant ses débuts sur la scène marseillaise (tout comme Meli et Vinogradov) mais aussi sa prise de rôle en Elvira, l’interprète surprend avec bonheur en affrontant avec succès son air d’entrée. Tout est en place, en particulier l’agilité des vocalises et une légèreté qu’on ne lui connaissait pas tout en conservant un aigu charnu et sonore. L’assurance s’accroît au fil du spectacle et tout juste pourrait-on souhaiter un peu plus d’insolence vocale et des graves plus présents.
De volume et d’insolence, la gent masculine n’en manque pas. Francesco Meli ouvre le bal avec un chant ample, très musical, nuancé et vaillant même si on aimerait plus de variété dans les couleurs et un engagement scénique plus constant. Un peu en retrait en milieu de représentation, le ténor italien retrouve sa superbe et son panache au dernier tableau pour une scène finale efficace.
Ludovic Tézier lui aussi est parfois confronté à des épisodes monolithiques en première partie. Si l’on se réfère à son récent Rodrigo à Bastille, preuve en est encore une fois que l’on chante toujours avec davantage d’inspiration quand on est activement dirigé par son metteur en scène. Toute proportion gardée, l’enfant du pays s’en tire habilement grâce à une tessiture et à un souffle parfaitement maîtrisés, et un italien d’une grande éloquence qui font de lui l’un des plus grands barytons verdiens de notre époque. Succès attendu et mérité pour son air après l’entracte, où toute son intelligence de style s’exprime pour créer une vraie tension dramatique.
Grand styliste également, Alexander Vinogradov ne fait qu’une bouchée de son air d’entrée d’une voix très noble et profonde sans jamais sacrifier la clarté de l’émission. On le sent plus préoccupé par la suite, notamment par ses aigus, avant d’apprendre après l’entracte que le chanteur est souffrant mais assurera la fin de la représentation. Mal à l’aise dans sa perruque et sa barbe grisonnantes d’apôtre du Christ et prisonnier d’une gestuelle parcimonieuse mais ô combien caricaturale et outrée qu’on se demande s’il ne s’agit pas là d’une parodie de divinité ou de vieux barbon dans une opérette, la basse se défait de tous ces artifices au troisième acte, forcé par les circonstances de se rendre à l’évidence qu’il est encore bien trop frais pour être crédible en oncle Silva. Le chanteur assure néanmoins avec courage et pertinence la partie vocale jusqu’à la fin.
Les comprimarios soutiennent efficacement ce quatuor. Citons la brillance de Christophe Berry en Don Riccardo et l’abatage d’Antoine Garcin en Jago.
L’orchestre est également un réel soutien pour le plateau, conduit par un Lawrence Foster qui connaît son Verdi sur le bout des doigts. Très attentif aux chanteurs, le chef sculpte un beau son très homogène d’un bout à l’autre de la partition. Quelques légers décalages avec les chœurs qui sont malheureusement trop souvent couverts par les cuivres et les percussions empêchent de recevoir pleinement l’homogénéité sonore, le caractère, les nuances et les ruptures de l’ensemble préparé par Emmanuel Trenque.
Théo Orlowski