Tchaïkovski - Eugène Onéguine - Pionnier/Bergeret - Reims - 03/2018

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Tchaïkovski - Eugène Onéguine - Pionnier/Bergeret - Reims - 03/2018

Message par Adalbéron » 17 mars 2018, 11:38

Scènes lyriques en 3 actes et 7 tableaux (en langue originale russe)
Livret du compositeur et de S. Shilovsky, d’après Pouchkine
Création au Collège Impérial de Musique, Moscou, 29 mars 1879

Direction musicale : Benjamin Pionnier
Mise en scène et chorégraphie : Pénélope Bergeret
Décors : Benoit Dugardyn
Costumes : Julie Lance
Lumières : Patrice Willaume

Eugène Onéguine : David Bizic
Tatiana : Isabelle Cals
Olga : Julie Robard-Gendre
Lenski : Jonathan Boyd
Prince Grémine : Misha Schelomianski
Madame Larina : Marie Gautrot
Filipievna : Cécile Galois
Monsieur Triquet : Christian Collia

Chœurs : ELCA Ensemble Lyrique Chamapgne-Ardenne
Chef de chœur : Hélène Le Roy
Orchestre : Opéra de Reims

Nouvelle production de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole
En coproduction avec l’Opéra de Reims
« Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. »
— Shakespeare, Macbeth

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Re: Tchaïkovski - Eugène Onéguine - Pionnier/Bergeret - Reims - 03/18

Message par Adalbéron » 21 mars 2018, 16:15

C’est dans Reims enneigé que s’est tenue la seconde et dernière représentation d’Eugène Onéguine dans la production de Pénélope Bergeret, déjà présentée à Metz au mois de février dernier. Danseuse à l’Opéra de Metz de 1996 à 2010, elle signe ici sa troisième mise en scène pour l’opéra. Le décor de Benoit Dugardyn consiste en une unique salle percée de portes-fenêtres, dont l’aménagement intérieur (une rocking chair, un lit en fonte, une table de chevet, quelques accessoires, etc.) et des toiles peintes placées au-delà des fenêtres face aux spectateurs (un champ de blé, quelques arbres à la nuit tombée, une forêt de bouleaux, les quais de la Neva), dessinent un espace singulier, clair et symboliquement chargé pour chacun des six tableaux de l’opéra. Les costumes de Julie Lance, qui frôlent parfois le folklore de pacotille, sont une merveille pour les yeux dans les tableaux emplis de choristes et de danseurs, évoquant les toiles bariolées du jeune Kandinsky. Flamboyance et sobriété sont les maîtres-mots de cette mise en scène lisible et agréable, où la direction d’acteur millimétrée met en valeur l’intimité des drames intérieurs livrés à tous les vents, au cœur d’un espace social ouvert (ce que les fenêtres omniprésentes semblent symboliser, Onéguine étant jusqu’à l’acte II dans une posture spectaculaire de dandy désabusé). Preuve s’il en fallait une que, même avec des moyens financiers plus limités que certaines grandes institutions, on peut présenter un spectacle riche et plaisant. On regrettera cependant quelques menues facilités dans le tableau du duel : une pluie de plumes lors du « Kuda », marquant plutôt grossièrement le temps qui a passé et l’éphémérité de l’existence et un effet de lumière qui permet à Lenski de mourir en coulisse (pudeur dix-septiémiste) et à Onéguine de tirer son coup de feu vers les spectateurs (procédé certes moins pudique, mais qui fait frémir la salle plutôt facilement).

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© Arnaud Hussenot

Le plateau vocal est d’une belle homogénéité et d’un niveau tout à fait remarquable.
Isabelle Cals incarne une Tatiana attachante, alliant détermination et fragilité : son vibrato très serré, son timbre dense de mezzo devenue soprano, la vulnérabilité des aigus servent une subtile caractérisation du personnage, les limites techniques et vocales devenant des atouts pour cette musicienne extrêmement touchante.
Le baryton serbe David Bižić fait gagner en profondeur et en autorité son Onéguine au cours de la représentation. Au départ plus transparent que désabusé ou désinvolte, son Onéguine ne convainc vraiment scéniquement que dans le dernier acte, en repenti passionné. Vocalement, le schéma est à peu près le même : tout en étant impeccable dans les deux premiers actes, il ne prend réellement ses marques qu’au dernier acte où des aigus tranchants et une musicalité impérieuse font frissonner.
L’Olga de Julie Robard-Gendre est pour nous une belle découverte : le timbre est opulent et la voix maîtrisée, l’incarnation exemplaire d’espièglerie ; tout juste pourrait-on reprocher un manque de variété dans la coloration du chant.
Jonathan Boyd, lui aussi, sans décevoir vraiment, ne marque pas les esprits au premier acte. C’est dans le tableau du duel et dans un « Kuda » superbe de ligne et de couleurs qu’il emporte l’adhésion.
Unique russe dans cette distribution majoritairement francophone, Misha Schelomianski, lui, n’a pas le temps de se chauffer : le prince Grémine n’apparaît que dans un tableau, à la fin de l’opéra (mais son grand air est, pour nous, un des plus beaux que Tchaïkovski a composé). Alors il donne tout immédiatement. Et quel don ! Il sait moduler sa voix puissante en de superbes mezza voce qui disent toute la tendresse qu’il porte à Tatiana, nuancer chaque ligne de sa partie et émettre dans son air d’ultime graves admirables de souveraineté et de force : on reste ébahi devant tant de présence vocale et scénique…
Marie Gautrot est une séduisante Madame Larina, par son maintien très von otterien (elle a comme elle une silhouette très longiligne) son timbre chaud et son chant raffiné. On regrette que le rôle soit si court…
Non moins séduisante est la Filiepvna de Cécile Galois, tendre et attentionnée nourrice dont le chant ne manque pas de caractère.
Seul (relatif) point faible de la distribution, le léger Triquet de Christian Collia à l’émission opaque et à la voix fort timide, même si le parti-pris de faire de ce Monsieur français un beau jeune homme timide sauve un peu la mise.

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© Arnaud Hussenot

L’Ensemble lyrique Champagne-Ardenne a livré un travail de grande qualité, surtout les pupitres féminins, bien loin du mauvais souvenir que nous avions gardé du Così fan tutte donné au même endroit en octobre dernier. Bravo à elles et eux.
L’orchestre de l’Opéra de Reims commence très mal la représentation : sonorités disgracieuses aux cordes, quelques pains au cor ou à la clarinette, mais comme emportés par le drame, les instrumentistes ont semblé plus concentrés dans les deuxième et troisième actes, sans pour autant permettre au chef Benjamin Pionnier, très attentif au chanteur et semblant vouloir inoculer de la fièvre dans la partition, de proposer une lecture singulière de l’œuvre. Assez frustrant, donc, le bonheur était si proche...

Le public rémois semblait conquis et heureux, et nous garderons également un bon souvenir de cette représentation, malgré ses défauts, pour ses qualités certaines.

Clément Mariage.
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