Gluck - Orphée et Eurydice- vc- Christophe Rousset. Capitole, Toulouse 02-2018

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jeantoulouse
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Gluck - Orphée et Eurydice- vc- Christophe Rousset. Capitole, Toulouse 02-2018

Message par jeantoulouse » 24 févr. 2018, 11:56



Christophe Rousset
direction musicale

Frédéric Antoun
Orphée
Judith van Wanroij Eurydice
Jodie Devos L’Amour

Les Talens lyriques

Chœur du Capitole

Alfonso Caiani direction

Dans le cheminement intellectuel, culturel et musical de Gluck, rappelons l’importance de la rencontre avec Raniero de Calzabigi en 1761 (Gluck a 47 ans), librettiste aux conceptions novatrices qui s’éloigne des canons de Métastase pour renouveler la progression dramatique des opéras, désormais à la fois plus resserrés et plus fluides grâce, entre autres apports, au rôle décisif du chœur. Premier fruit de leur collaboration, Orphée et Eurydice conquiert d’abord le public viennois (5 octobre 1762, version pour castrat), puis après une version toujours en italien pour Parme, remanié, augmenté et traduit, enflamme les Parisiens (2 août 1774, Théâtre du Palais Royal, version pour haute-contre). Rousseau transporté écrit : « Puisqu’on peut avoir un si grand plaisir pendant deux heures, je conçois que la vie peut être bonne à quelque chose ». Christophe Rousset choisit pour cette version concert la version dite de Paris et le parti pris d’une partition dépouillée de toute virtuosité (à une exception près), vibrante et fluide, suivant ainsi le souhait du compositeur : « Je me suis efforcé de limiter la musique à sa véritable fonction, qui est de servir la poésie avec expression, tout en suivant les étapes de l'intrigue, sans pour autant interrompre l'action et en évitant de l'étouffer par quantité d'ornements superflus ».
On avait vivement applaudi Les Talents lyriques et leur chef dans les Indes galantes de Rameau en 2012. Leur talent, leur verve, la saveur fruitée de leurs timbres, leur dynamisme font à nouveau merveille, mais plus encore leur gravité noble. Dans la magistrale scène de l’entrée aux Enfers, les contrastes dynamiques accentuent l’intensité du moment et une forme de frénésie fortement expressive. A l’opposé, la danse des Ombres heureuses, l’accompagnement de l’air d’Eurydice, ou de celui d’Orphée (« Quel nouveau ciel pare les cieux ») murmurent et charment dans leur imitation des roucoulades et des doux soupirs de la nature. Christophe Rousset sait animer la partition de Gluck, la parer de ses délicatesses les plus mystérieuses, de sa noblesse la plus pure. Lui et ces magnifiques musiciens, coloristes virtuoses, lui confèrent surtout une tension dramatique et un épanouissement lyrique parfaitement équilibrés. L’acte II est à ces égards exemplaire et le final de l’œuvre d’une vivacité étourdissante.
Les Chœurs du Capitole, préparés par Alfonso Caïani, sont à l’unisson. Compatissantes pleureuses, furieuses furies ou ombres gracieuses, ils deviennent acteurs du drame non plus mythologique ou fantastique, mais humain qui se joue. Aux saluts chaleureux, ils prennent leur juste part d’un succès collectif amplement justifié.
Familier des rôles de Tonio, Nadir, Tamino, Belmonte, Ferrando, interprète de deux opéras de Thomas Adès, et déjà de Gluck dans une Iphigénie en Aulide (rôle d’Achille) sous la direction de Minkowski, Frédéric Antoun prête sa voix souple et chaude, ample et colorée au poète Orphée. Il convainc pleinement par son respect du registre à la fois élégant et dramatique de Gluck. Jamais il ne sombre dans un pathétique outrancier. Jamais il ne se départit d’une ligne pure et noble. « J’ai perdu mon Eurydice » que Rousset impose sur un rythme assez lent et majestueux fait entendre une élégie tendre et douloureuse, alors que l’air « Amour viens rendre à mon âme », ajouté un peu artificiellement par le compositeur pour le ténor Legros, parvient à émouvoir malgré sa virtuosité extérieure, affrontée ici crânement et brillamment. Les duos avec Eurydice ont la tension qui sied et font valoir une prononciation du français exemplaire, un art de la déclamation tragique, une beauté de timbre conquérants, une suavité virile adaptée à la prestance de l’interprète. Le ténor canadien est, avec les chœurs et les Talents lyriques, l’épicentre de ce concert qui lui doit une grande part de son intensité et de son pouvoir émotionnel.
Judith van Wanroij, compagne de route des Talents lyriques, vient de jouer et d’enregistrer avec cet ensemble l’Alceste de Lully. L’air « Cet asile / Aimable et tranquille » déploie les beautés d’une voix riche de subtiles brillances, et une interprétation poétique qui épouse les échos harmoniques voulus par le librettiste et choyés par le compositeur. L’articulation du français rend pleinement justice aux rythmes et au sens des vers. L’acte III voit vibrer une Euridyce dramatiquement impliquée dans ses reproches et la reconquête de son époux distant.
L’aimable et compatissant Amour est confié à Jodie Devos dont le concert de la veille nous a subjugués. Comment ne pas regretter que Gluck ait dévolu au charmant Eros un rôle aussi bref ? Interprète et messager des dieux, pour fixer à Orphée la contrainte terrible ou pour offrir le bonheur aux amants enfin réunis, l’Amour de Jodie Devos pétille de verve, rayonne, illumine. Le trio final fait alors oublier le caractère artificiel d’un dénouement trop heureux pour traduire pour tous une forme d’allégresse que prolonge le long divertissement orchestral qui salue la victoire de l’Amour sur la Mort.

Jean Jordy

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