Oui, alors :
(c'est étonnant, quand même, cette espèce de mépris vis à vis de Py qu'on devine entre tes lignes)
Bernard C a écrit : ↑16 déc. 2013, 19:57
( certes il ne coupe pas les têtes comme Mireille Delunsch avec force bois de justice , mais ces nuques brisées s'enfonçant dans la nuit étoilée avaient une allure dramatique très émouvante , peut être trop poétique si l'on se met à réfléchir .
La terreur révolutionnaire n'est pas le ciel. C'est le sang et la terre des fosses communes . )
Les carmélites de Compiègne étaient en elle plus appelée par le Ciel que par le sang et la terre des fosses communes. Certes, Py fait le choix de montrer une apothéose avec ciel étoilé plutôt qu'une exécution en règle (tel que c'est écrit dans le livret, oui, oui), mais c'est qu'il traite symboliquement les choses et que le point de vue choisi est celui des carmélites : bien sûr, on peut tout à fait préférer le contraste saisissant entre l'ascension du « Salve Regina » et la machine à couper les têtes dégouttant du sang vers la terre, mais Py donne à voir au spectateur l'espérance des femmes du carmel, ce que cette exécution représente pour elles.
Bernard C a écrit : ↑13 févr. 2018, 03:26
-Le dispositif sophistiqué de la chambre de la première prieure collée au mur conduit le personnage de Madame de Croissy a rester érigé , au balcon de son lit de souffrance. Or l'agonie qui est au coeur de la scène est une fuite et une douleur qui pousse l'être de la prieure dans les retranchements de l'angoisse de mort.
De cette impuissance et de cette hémorragie des forces surgit le
doute de la foi , l'abandon de Dieu :
"Qu'il s'inquiète donc d'abord de moi"!
La prieure doit être dans la chute , son corps sans cesse est ramené par la gravité vers la chute , elle se soulève avec peine , elle et révoltée et non véhémente , elle est résistante et non coléreuse .
Elle va vers le sacrilège du doute dans une faiblesse pathétique où elle se perd .Delunsch a réussi à cet égard un tableau de l'agonie d'une force insupportable car elle est allée voir ce qui se passe dans les mouroirs .
Py en ignore tout , d'où ces agitations mélodramatiques et ce pathétique agité du haut d'une tribune où de son lit Madame de Croissy harangue le public plus que ses peurs , le corps tendu , énergique ,le doigt pointé .
Pire , il fait mourir Madame de Croissy en croix .
Or c'est un contre sens . La première prieure
ne peut pas être dans le sacrifice , précisément pas , elle n'y parvient pas , elle ne donne pas sa souffrance à Dieu . Elle n'est pas crucifiée ,elle n'est pas sur le Golgotha , elle est ratatinée dans la misère humaine .
La seconde prieure montera à l’échafaud en chantant un Salve Regina , la première crève radicalement comme vous et moi dans son lit . C'est ça qui est écrit.
C'est intéressant que tu compares ce dispositif à celui d'une tribune ou d'une chaire — je n'avais pas vu les choses comme ça — parce que cette scène présente aussi la déchéance de la figure d'autorité (c'était déjà le cas dans la deuxième scène, où la Prieure est assise malgré elle). Comme Dieu qui meurt sur la croix comme un larron, tordu, humilié, et qui ne croit plus en Lui. Et puis tout ce qui Le faisait passer pour un roi de pacotille.
D'abord, je l'ai dit, je pense que ce dispositif illustre simplement le «
je me vois mourir », offrant une vision telle qu'en rapporte parfois ceux qui ont fait une expérience de mort imminente (la Prieure n'est pas encore passé de vie à trépas, mais c'est l'idée, elle se voit d'en-haut, ça parle à la mémoire visuelle, pas la peine de chipoter là-dessus). Et puis ça situe le spectateur dans la position d'un Dieu ne faisant rien d'en haut.
Ensuite, Py a sans doute choisi ce dispositif pour la force dramatique qui s'en dégage : le vertige dont parle la Prieure est sensiblement perceptible par le spectateur (enfin moi je sentais ma tête affolée à l'idée que le verre tombe, que la Prieure se détache).
Si la Prieure donne sa souffrance à quelqu'un, ce serait plus à Blanche («
Pour détourner cette menace, j’aurais bien donné ma pauvre vie, oh! certes, je l’eusse donnée.. Je ne puis donner maintenant que ma mort, [...] ». Je veux dire que mourant pour elle, pour la sauver de sa peur, en quelque sorte, elle se sacrifie pour permettre à cet autre elle-même (une Soeur ... de l'Agonie du Christ — c'est tout le paradoxe d'ailleurs, Soeur Blanche de l'Agonie du Christ meurt apaisée alors que celle qui a hésité à prendre ce nom meurt dans l'agonie, en luttant acharnée) d'accéder à une mort salutaire et apaisée. D'ailleurs, le Christ ne se sacrifie pas pour Dieu/lui-même mais pour les hommes. Et, chez Matthieu du moins, il est dans l'angoisse et la souffrance jusqu'au bout. La dernière manifestation de son corps terrestre est un cri, comme le « PEUR » de la Prieure. C'est à vérifier, je ne sais pas si le personnage de Mme de Croissy existe déjà chez Gertrud von Le Fort ou si c'est une invention de Bernanos, mais peu importe, elle est une fiction, comme Blanche de la Force, et comme celle-ci, je ne pense pas qu'on lui ai attribué un tel patronyme de manière anodine (CROI(X)y, ou bien le doute, une condition de la croyance : « (je) crois, si... (tu te montres — par exemple) » ).
Mais oui, la Prieure rate sa mort. Si Py peut nous faire penser à la croix (à tort, oui, peut-être), il n'en reste pas moins que la Prieure meurt ici toujours sur un pauvre lit en fer.
Bernard C a écrit : ↑13 févr. 2018, 03:26
-Le second point qui est très problématique , c'est
le vote de Blanche .Il la fait voter Non au martyre ce qui est une grave transgression au mystère des rapports entre Blanche et Constance. Il n'y a rien de tel dans le livret et c'est l'ambiguïté de la situation qui en fait la consistance.
Blanche ne peut pas avoir voté NON .
-
"Blanche sera désormais le jouet des circonstances"
-Constance ne peut pas mentir
-L'aumonier ne peut être complice d'un mensonge
-Si Constance avait voté le martyre et Blanche avait voté NON , le mensonge de Constance et son pseudo revirement emporterait la totalité du scrutin de la communauté et le destin des Carmélites déniant le vote de Blanche. Le martyre des Carmélites ne peut porter sur un mensonge de Constance .
Constance a bien voté NON ( pensait-elle que Blanche voterait NON et croyait-elle l'accompagner dans sa peur ? Pure spéculation ).Toujours est-il que Constance va au martyre quand elle constate que Blanche y va . Et cette certitude absolue se retrouvera au pied de l'échafaud .
Py falsifie l'architecture des rapports complexes du doute qui se jouent entre Blanche et Constance et notamment
les rapports à la peur .
Sur ce point, complètement d'accord.
Bernard C a écrit : ↑13 févr. 2018, 03:26
-Le troisième point , moins problématique est un simple agacement : l'écriture à la craie de slogans façon évangélistes américains :"
L'Egalité devant Dieu" ( les fameux panneaux que Py , metteur en scène se croit autorisé à exhiber sur une scène pour y afficher ses convictions -religieuses ou politiques )
Il n'y a rien de tel dans Dialogues des Carmelites et ça n'apporte rien à rien . Il aurait pu décliner Liberté et Fraternité ...on est en période révolutionnaire ...mais ça marchait pas avec Dieu .
Bref un truc contrariant et inutile si ce n'est qu'il semble vouloir toujours visser un message dans le crane des spectateurs .
Nous sommes dans une civilisation de la publicité ...ça marche aussi sur la scène de la Bastille .
Tu y vas fort, là. De la publicité ? Ça date d'aujourd'hui les « petites phrases » sur les murs ? (les graffiti de Pompéi !
)
Il n'y a pas que le mot « égalité » qui est décliné, mais aussi « liberté » (quant à la « fraternité », elle est présente tout au long de la pièce).
Je crois que ça permet simplement de s'interroger sur le sens des mots dans le contexte révolutionnaire et nullement d'exposer un quelconque « message » politique ou religieux, si ce n'est une critique de l'usage politique ou religieux du langage.