Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Représentations
Stefano P

Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par Stefano P » 28 juin 2017, 09:22

J'ai vu le direct d'hier soir, et mon impression est assez contrastée : on a l'impression d'assister à une production assez routinière, avec une mise en scène passe-partout ni gênante ni particulièrement éclairante, une direction d'orchestre tout à fait convenable, des interprètes de bon niveau mais pas spécialement brillants : Iago a un timbre assez ingrat, une voix tonitruante et un chant un peu débraillé, Desdémone est souvent émouvante, mais le chant est très tendu, avec un vibrato désagréable et envahissant, Cassio est bien, mais sans plus.
Et puis au milieu de tout cela, il y a la présence incroyable de l'Otello de Cura, son incarnation du personnage qui déborde tous les cadres et bouscule tous les codes de jugement à l'opéra. Il est beaucoup plus en voix depuis quelques mois, on s'en était déjà aperçu à Monte Carlo avec son magnifique Tannhäuser en français, mais évidemment, ce n'est plus aussi spectaculaire ni aussi constant que par le passé. L'Esultate est un peu forcé, comme l'adieu aux armes, les aigus manquent de sûreté et de brillant, l'équilibre dans les registres de la voix est loin d'être parfait, mais en gros, on s'en fout : on assiste à une performance d'acteur prodigieuse d’intelligence, de force, d'intensité. Le personnage s'impose avec une évidence qui balaie tout sur son passage, c'est une sensation rare sur une scène d'opéra, et elle est encore renforcée par le filmage qui nous permet d'approcher le chanteur de très près, de percevoir tous les détails de son interprétation : c'est vraiment Otello qui est devant nous, et on prend une sacrée claque !

A l'entracte, Cura a parlé de sa conception du personnage, que je trouve vraiment fascinante et d'une grande intelligence. Je la résume ici en reprenant les propres termes de l'artiste (il s'exprimait dans un très bon français) : "Otello est au départ un musulman qui devient chrétien pour faire une carrière politique à Venise. C’est donc un apostat que l’on engage pour tuer des musulmans ; donc, il devient un traître, un mercenaire, un assassin. C’est pour cela que lui, qui est pourtant un grand stratège, un tacticien, un guerrier intelligent, tombe aussi facilement dans la machination de Iago... L’affaire du mouchoir n’est qu’un prétexte : quand on est soi-même un traître, on pense que tout le monde peut trahir, quand on est soi-même un assassin, on pense que tout le monde peut tuer. D’où la paranoïa d’Otello, qui se méfie de tout le monde : c’est sa mauvaise conscience qui le fait tomber dans le piège de Iago, pas le mouchoir ! Otello vit avec un bagage insupportable : il est tellement conscient de son malheur (ontologique) qu’il a besoin de Iago pour se libérer de lui-même."
Cura emploie ici une image assez triviale, mais très parlante : "Iago est le gant pour toucher la fange (j'édulcore un peu le vocabulaire, il dit carrément : la m...), mais la main à l’intérieur du gant, c’est celle d’Otello".

Et effectivement, quand on repense à ce que dit Cura, c'est bien ainsi qu'il représente le personnage : un homme que la mauvaise conscience dévore et qui trouve en Iago l'instrument de la perte et de la délivrance, qui sont devenues pour lui une seule et même chose...

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Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par PlacidoCarrerotti » 28 juin 2017, 10:00

Très intéressante analyse psychologique : il devrait conseiller Warner (et bien d'autres tacherons de la mise en scène)...
"Venez armé, l'endroit est désert" (GB Shaw envoyant une invitation pour l'une de ses pièces).

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Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par MariaStuarda » 28 juin 2017, 10:36

Stefano P a écrit :
28 juin 2017, 09:22
J'ai vu le direct d'hier soir (...)
Et puis au milieu de tout cela, il y a la présence incroyable de l'Otello de Cura, son incarnation du personnage qui déborde tous les cadres et bouscule tous les codes de jugement à l'opéra. Il est beaucoup plus en voix depuis quelques mois, on s'en était déjà aperçu à Monte Carlo avec son magnifique Tannhäuser en français, mais évidemment, ce n'est plus aussi spectaculaire ni aussi constant que par le passé. L'Esultate est un peu forcé, comme l'adieu aux armes, les aigus manquent de sûreté et de brillant, l'équilibre dans les registres de la voix est loin d'être parfait, mais en gros, on s'en fout : on assiste à une performance d'acteur prodigieuse d’intelligence, de force, d'intensité. Le personnage s'impose avec une évidence qui balaie tout sur son passage, c'est une sensation rare sur une scène d'opéra, et elle est encore renforcée par le filmage qui nous permet d'approcher le chanteur de très près, de percevoir tous les détails de son interprétation : c'est vraiment Otello qui est devant nous, et on prend une sacrée claque !

A l'entracte, Cura a parlé de sa conception du personnage, que je trouve vraiment fascinante et d'une grande intelligence. (...)
Merci Stefano. Passionnant !
Je vais aller voir ça si ça reste dispo suffisamment de temps !

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Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par Zemire » 04 juil. 2017, 12:07

J'ai revu Pierre-Yves Pruvot vendredi dernier lors d'un concert donné dans le cadre du Festival musical de Namur ... toujours en grande forme vocale dans un répertoire qu'il connaît bien : Gretry et Gossec.

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Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par Loïs » 04 juil. 2017, 17:57

PlacidoCarrerotti a écrit :
28 juin 2017, 10:00
Très intéressante analyse psychologique : il devrait conseiller Warner (et bien d'autres tacherons de la mise en scène)...
Oui très intéressant et me fait découvrir une idée à laquelle je ne m'étais pas attaché
Placido ne critique pas Warner: la mise en scène était visuellement réussi et pour une fois Otello ne couchait pas avec Iago qui lui même ne tabassait pas Emilia pendant que Cassio faisait une pipe à Rodrigo dans des tasses alors que Lodovico n'était plus ambassadeur mais représentant en bonneterie . Bien entendu l'action ne se passait pas à Chypre mais dans la steppe russe ou plus exactement dans les toilettes d'une garnison de la steppe russe (car il reste encore des m² de carrelage à utiliser). le décor s'agrémentait de têtes sanguinolentes et de quelques corps empalés. Et bien sur c'est Desdémone qui poignardait Otello pendant que Iago en larmes lui criait son amour (petite compil de dernières mises en scène subies)

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Re: Verdi - Otello - Arrivabeni/Mazzonis - Liège - 06/2017

Message par MariaStuarda » 04 juil. 2017, 21:54

Loïs a écrit :
04 juil. 2017, 17:57
PlacidoCarrerotti a écrit :
28 juin 2017, 10:00
Très intéressante analyse psychologique : il devrait conseiller Warner (et bien d'autres tacherons de la mise en scène)...
Oui très intéressant et me fait découvrir une idée à laquelle je ne m'étais pas attaché
Placido ne critique pas Warner: la mise en scène était visuellement réussi et pour une fois Otello ne couchait pas avec Iago qui lui même ne tabassait pas Emilia pendant que Cassio faisait une pipe à Rodrigo dans des tasses alors que Lodovico n'était plus ambassadeur mais représentant en bonneterie . Bien entendu l'action ne se passait pas à Chypre mais dans la steppe russe ou plus exactement dans les toilettes d'une garnison de la steppe russe (car il reste encore des m² de carrelage à utiliser). le décor s'agrémentait de têtes sanguinolentes et de quelques corps empalés. Et bien sur c'est Desdémone qui poignardait Otello pendant que Iago en larmes lui criait son amour (petite compil de dernières mises en scène subies)
Ca n'a pas l'air d'aller mon poussin 🐥 :cry:

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