bajazet a écrit :
Mon interrogation demeure sur le genre malgré tout "mixte" dont relèverait Don Giovanni, par ailleurs différent de la "comédie larmoyante". Encore une fois, que faire d'Anna et du Commandeur (et de tout ce qu'ils draînent dans l'action) dans une forme d'opera buffa ?
Ce n'est pas un genre mixte : c'est une des composantes normales du genre à Vienne. Le
buffa/giocoso etc.. n'est pas forcément du comique pur jus où l'on se bidonne en permanence : l'alternative est donc assez large, me semble-t-il.... Quant à dire que dans telle oeuvre, on a 10% de
buffo et 30% de
serio, c'est totalement anachronique et hors de propos. Personne ne raisonne comme cela à l'époque : on a un genre aux règles relativement laches mais très précises, et qui n'est pas du seria (comme
Giulio Cesare, Mitridate ou
Antigona !)
On a des personnages qui varient dans leur emploi et qui agissent selon le canevas logique de leur structure d'origine (Leporello comme un valet, Anna comme une aristocrate) : après, évidemment, cela crée des effets de structures intéressants, aussi bien dans le livret que dans la partition.
Par ex, le personnage de la Comtesse dans
La Scuola de' Gelosi (Salieri) a directement inspiré Da Ponte -piqué des tas de passages du texte- pour Elvire, et est déjà
semi serio.
On a des exemples d'aristocrates vengeresses dans le
buffa. Ce n'est pas un thème exceptionnel.
Par contre, le Commandeur/statue et son ressort surnaturel sont perçus comme faisant partie, littérairement parlant, d'un vieux machin dramatique dépassé et même vulgaire, destiné aux enfants et au peuple... Cela fait partie de l'histoire. Ceci dit, je n'ouvre pas le débat sur ce que Mozart et Da Ponte en ont tiré ou pas, de cette étape obligatoire de l'histoire. Ce n'est pas mon propos. Seulement, de repréciser que le thème historique de Don Juan est considéré comme faisant partie du répertoire comique, de foire, vulgaire et dépassé, déjà dès la première mise en musique du thème, avec
l'Empio punito de Melani. (cf dossier correspondant sur ODB)
Voir aussi les hurlements de protestations des chanteurs dans
Il Capricio drammatico de Bertati quand on leur propose de jouer/chanter
Don Juan :
Ninetta (chanteuse) : L?action est invraisemblable ; le livret construit en dépit des règles ; la musique, je n?en sais rien, mais je présage qu?elle est encore pire.
L?imprésario Policastro : Mais croyez vous donc que l?on fasse attention aux règles ? On fait attention aux goûts du public, et on se fait souvent plus d?argent avec des niaiseries qu?avec des ?uvres bien composées, bien réglées et intelligentes.(sc. 2)
Cavaliere Tempesta (amateur d?opéra) : J?ai vu la nouvelle affiche exposée sur la place. Don Giovanni ou le convive de Pierre.
Guerina (chanteuse) : Non. De pierre.
Cavaliere Tempesta : Que ce soit de Pierre ou de pierre, voici ce que dit l?affiche. Comédie en un acte. En musique. Ah, ah ! comment une comédie peut-elle être en musique ? Les opéras se font en musique ; mais les comédies s?écrivent toujours en prose, et j?ai décidé que la votre sera une belle et étonnante porcherie. (sc. 5)
Cavaliere Tempesta : Je me suis informé, cher imprésario : vous faites passer cela pour une nouveauté, mais c?est vieux, très vieux, plus vieux que l?invention du tournebroche. Les comédiens jouent ça depuis deux siècles, avec grand tapage, mais uniquement pour la canaille.
L?imprésario Policastro : Mais notre comédie bien qu?elle soir tirée de l?espagnole de Tirso de Molina et de celle de Molière et de celle que nos comédiens [de la commedia dell?arte], quelle qu?elle soit, elle n?a jamais encore été vue. (sc.9)
Je cite aussi un autre extrait du dossier ODB :
Longtemps après que Da Ponte se fût installé à New York, un de ses amis, le docteur John W. Francis, lui demanda comment il travaillait avec Mozart. A cette question que chacun se pose, ne demeure qu?une réponse évasive notée par le Dr Francis en 1865.
"Ses récits renforcèrent les témoignages sur l?énergie ardente, non, presque impétueuse que Mozart mettait dans son travail ; sa rapidité de décision, et son intellect aventureux. L?histoire de Don Juan est devenue familière de milliers de façons ; Mozart était déterminé à écrire cet opéra comme une ?uvre exclusivement sérieuse, et avait déjà bien avancé dans son travail. Da Ponte m?affirma qu?il lui avait fait des reproches à ce sujet et qu?il lui avait démontré avec urgence qu?il fallait que ce grand compositeur réintroduise la vis comica, de manière à obtenir un succès plus grand, et lui avait préparé le terrain avec le Batti, batti et Là ci darem la mano, Etc?."
Même si l?on peut considérer que cette affirmation de troisième main est fiable, il est peu probable que Mozart ait souhaité faire un opera seria à partir d?une ?uvre devenue essentiellement populaire et du domaine de la farce. Cependant elle rend bien compte de la perplexité des spectateurs de cet opéra "expérimental", si différent des autres opéras bouffes de la fin du XVIIIème siècle. Le dramma giocoso -qui signifie en réalité la même chose qu? opera buffa, "pièce de théâtre bouffonne"- revenait à ce que Mozart entendait créer depuis 1780 : un opéra mêlant, comme le faisait Shakespeare qu?il avait lu, passages joyeux et sérieux, métaphysique et trivialité, tout une vie scénique qui revenait aux Mystères médiévaux, aux légendes populaires et aux exempla de prédication dont était tirée la légende dont il créait l?un des derniers avatars majeurs.
et j'ajouterais,
....ce qui était une composante NORMALE, pour Vienne et Prague, de ce genre de prédilection de Joseph II.
(cf aussi la lettre de Mozart où il indique ce qu'il souhaite écrire comme type d'opéra)
De toute façon, Da Ponte ment ou enjôlive, comme dans 92% des cas : il était bien placé pour savoir qu'on ne donnait plus de serie à Vienne, et que la troupe de Prague n'avait pas de chanteurs serie en son sein....
Il fait simplement son intéressant, écrivant au XIX où DG a déjà une connotation tragi-romantique (Da Ponte a sans doute causé à son pote de NY entre 1830 et 1838, date de sa mort...)
Si les propos sont "fiables", cela montre bien 1/ l'ignorance complète de son pote sur ce qu'est le seria -bon, c'est un new yorkais du XIXe, le malheureux, pouvait pas savoir. I l a mal compris les propos et les a déformés. 2/ ou bien que Da Ponte avait complètement oublié son "Petit Metastasio pour le nuls" en Europe et 40 ans de carrière classique... Aïe de lui !
"opéra expérimental" pour Prague, car Da Ponte et Mozart ont exporté les recettes viennoises spécifiques... d'ailleurs trop difficiles à avaler, puisque l'opéra ne fut pas créé dans les temps.
PS 1 : Dossier
Don Giovanni sur
http://site.operadatabase.com.site.hmt- ... page&pid=9
PS 2 : tu appelles cela "mixte" ou "hybridation", un spectateur du XVIIIe ne te comprendrait pas : c'est du "non seria", avec tout ce que cela implique.
Le fait que Don Giovanni soit l'avatar d'une farce de tréteaux complique l'affaire, mais cela ne devrait pas. Le thème n'est pas plus "sérieux" que des tas d'autres
buffe donnés au Burgtheater.
Anna et le commandeur sont des personnages appartenant à une typologie sociale qu'on trouve souvent dans ce type d'oeuvres, qui montrent un spectre social très étendu. Qu'est-ce qui est surprenant là dedans ?
PS 3 : Rendez-nous
Fra i due litiganti !! pour qu'on se rende compte ENFIN que les
Nozze di Figaro n'étaient pas si révolutionnaires que cela.... et
La Scuola de' Gelosi, tant qu'on y est !!
PS 4 : Je vais me coucher. Messieurs les donjuovanistes, bonsoir !