Fauré - Requiem (+Poulenc, Debussy) - Romano/Ens. Aedes - Les Siècles - CD Aparté, 2019

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EdeB
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Fauré - Requiem (+Poulenc, Debussy) - Romano/Ens. Aedes - Les Siècles - CD Aparté, 2019

Message par EdeB » 22 mars 2019, 19:44

Gabriel Fauré – Requiem, op. 48 (version de 1893 sur instruments d'époque)
Francis Poulenc – Figure humaine. Cantate pour double chœur mixte a capella
Claude Debussy – Trois Chansons de Charles d'Orléans (Dieu ! qu’il la fait bon regarder (première version de 1898) ; Quand j’ai ouy le tambourin (1908) ; Yver, vous n’estes qu’un villain (première version de 1898))

Roxane Challard – soprano (soliste dans Fauré)
Mathieu Dubroca – baryton (soliste dans Fauré)
Martial Pauliat – ténor (soliste dans Debussy)

Ensemble Aedes
Les Siècles

Mathieu Romano – direction musicale

CD Aparté, 2019


Image

Simul et Singulis

Messe funèbre « d’apaisement » (Gabrielle Olliveira-Guyon) composée après le décès de ses parents, le Requiem de Fauré était conçue « comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d'au-delà, plutôt que comme un passage douloureux », ainsi que la présentait le compositeur. Ce dernier qui fut organiste de la Madeleine entre 1877 et 1905, affirma « vouloir faire autre chose » que les messes d’enterrement qu’il accompagnait. C’est dans sa première version chambriste de 1893 (on connaît davantage la version « symphonique » remaniée entre 1900 et 1901) que nous la présentent l’Ensemble Aedes et Les Siècles. Ce choix des instruments d’époque révèle le recueillement simple de la partition, éloignée d’une théâtralité qui n’est ici de mise. Ce sont donc les méandres du cœur et ceux de la foi, dans leur naïveté assumée, qu’incarnent des interprètes qui se font démiurge du Verbe, qu’il soit sacré ou poétique. La prononciation du latin à la française, d’usage à l’époque de Fauré car on n’appliquait pas encore les recommandations de Pie X pour une prononciation à l’italienne, nous replonge dans l’audition complète du 21 janvier 1893 faite à la Madeleine. L’Ensemble Aedes, exceptionnel, incarne pleinement ce flot de lumière traversé de brèves crispations inquiètes ; médiateur et acteur dans ce cheminement de l’âme, sa transparence colorée va de pair avec des Siècles qui se fondent dans cet élan commun. A l’Introït d’abord comme suspendu, puis pressant, suivi d’un Kyrie d’une sobriété stupéfiante, succède l’Offertoireune question, une angoisse presque existentielle » estime Mathieu Romano) ; cette incertitude ontologique se rassure devant l’offrande vocale de Mathieu Dubroca, qui endosse avec intensité cette l’inquiétude pour mieux la dissiper momentanément. Le Sanctus éthéré est traversé des veinures chaudes d’un violon soliste (sa seule intervention dans la partition) culminant dans un Hosanna triomphal ; le Pie Jesu est porté par la douceur alanguie de Roxane Chalard, elle aussi sortie du chœur, en plein accord avec Celui qu’elle invoque ; ce temps suspendu contraste avec un Agnus Dei tout en volutes savoureuses où l’orchestre porte le chœur vers une ferveur renouvelée remplie d’attente. Le Libera me frémissant comme un battement de cœur, bien que retenu, voit s’élever, après une pause prégnante, l’appel tout aussi éperdu d’une âme (le même baryton que précédemment) illustrant magnifiquement la devise Simul et Singulis, rejointe par ses frères et sœurs en espérance, lesquels apaisent in fine cette question cruciale scandée sans lourdeur malgré sa charge d’angoisse. In paradisium trouve comme des chuchotis de bruissements d’ailes dans la légèreté du chœur féminin, alors que les touches colorées de l’orgue et la fluidité des Siècles leur forment un écrin coruscant, alors que l’on monte lentement vers une Cité céleste. Fluidité et naturel, maîtrise époustouflante des couleurs et de la dynamique, évocation poignante des atmosphères successives font de cette vision une évidence qui s’achève en un accord de lumière.

On retrouve la même clarté d’élocution, alliée ici à une netteté époustouflante dans la polyphonie et une maîtrise parfaite du rythme poétique transfiguré par le compositeur, dans Figure humaine, remarquable cantate pour double chœur se coulant dans les poèmes d’Eluard, le « seul surréaliste qui tolérât la musique », estimait Poulenc. Disssonances sur la laideur du printemps, élans bleutés comme des matins de joie pleine d’horreur, mélismes inattendus, sauts d’ambitus, flammes mortifères, rien n’effraie les Aedes qui font vibrer les ambiguïtés et les bigarrures de ces poèmes écrits durant l’Occupation. Pour achever avec le plus connu, dont la scansion et la montée en puissance glorifie la Liberté, en une Ode qu’on ne se lasse pas d’ouïr. Les Trois Chansons de Charles d'Orléans de Debussy, en leur archaïsme assumé, n’ont pas non plus de secrets pour eux, l’Ancien Français trouvant une reverdie dans cette polyphonie raffinée qui coule comme du miel entre leurs lèvres, Martial Pauliat incarnant avec sobriété le poète velléitaire enfermé en solitude assumée. Absolument superbe.

Emmanuelle Pesqué
Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles. - M. Leiris
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