Discographie Grisélidis de Massenet
Posté : 12 janv. 2018, 11:04
Composé dans les mêmes années que Cendrillon et le Jongleur de Notre Dame, l'opéra se base sur une légende médiévale du XIIème qui avait déjà inspiré Boccace,Petrarque et Perrault.
Lors de sa création Reynaldo Hahn écrivit à Jules Massenet :
« Le mystère calme du prologue, le débordement de tendresse du premier acte, l'énervante et délicieuse ivresse du 2nd, l'énergie simple et noble du dernier m'ont enchanté […]
Ce que j'ai le plus admiré, c'est l'effroyable angoisse de la fin du 2e acte, à partir du moment où ils s'asseyent sur le banc […]
Ce que j'ai le plus aimé, c'est la ravissante et belle élégie de Grisélidis à son entrée (2e acte). Ce sont mes deux points extrêmes. Et entre eux, que de beautés !
Mais avant tout, surtout et après tout, l'orchestre ! […]
Ni Esclarmonde, ni Werther,ni aucun de vos ballets, ni la fiévreuse Manon, ni Cendrillon (dont l'orchestre pourtant… !) ni rien, n'est comparable dans votre œuvre à cette orchestration. »
Pour moi j’y ai puisé mon avatar et j’avoue ma faiblesse pour cette oeuvre qui se déroule en Provence.
L’histoire ? Le Marquis de Saluces, époux de Grisélidis, en partant en croisade défie le Diable de prouver que sa femme puisse être infidèle. Pari relevé et le Diable qui se présente sous un visage de bon Diable (il deviendra franchement désagréable à la fin) saisit l‘occasion de venir se détendre les pattes (sabotées) sur terre et surtout de fuir sa virago de femme qui le suit partout n’ayant aucune confiance en lui (c’est normal, elle porte déjà des cornes). L’air d’entrée du Diable « Qu’on est bien loin de sa femme » est un sommet mais comme il dit si bien «quand le chat n’est pas là les souris dansent » juste avant qu’une aigre voix ne retentisse « le chat est là Monsieur ». Raté la Diablesse débarque et empêche ce bon bougre de tester par lui-même la fidélité de la Marquise. Qu’à cela ne tiennent il lui envoie dans les pattes le jeune berger Alain (« ouvrez-vous sur mon front portes du paradis » »je suis l’oiseau que le frisson d’hier chasse de la ramée ») mais la Marquise résiste. Le Diable perdant patience, triche et lui enlève son fils Loys.
Mais tout finira bien Sainte Agnès ramènera l’enfant à ses parents et chassera « le Diable de ces lieux à jamais »
A ma connaissance quatre versions :
Un studio de 1959 dirigé par Gustave Cloëz avec Geneviève Moizan, Janine Collard, Jean Mollien, Michel Roux & Claude Geny. Il s’agit d’une version en extraits
Jean Mollien surprend par l’énergie des aigus dès l’entrée, et l’élégance du chant. Même si cela date un peu, un ténor qui ne sonne jamais mièvre mais jeune, romantique et viril (je connais des jeunes ténors qui ne perdraient pas leur temps à l’écouter) Geneviève Moizan a les exacts moyens du rôle et la fraicheur de voix nécessaire mais l’écoute est malheureusement réservée aux habitués de l’époque d’autant plus que la prise de son ne la flatte pas et rend sa voix étriquée. Sautereau surprend par sa jeunesse dans le rôle de Betrade, plutôt dévolue aux duègnes. L’utilisation de timbres clairs pour les registres bas ou médians trahit décidemment l’âge de l’enregistrement. Après Sautereau, Michel Roux. Au-delà de l’intelligence du chant et de l’interprétation de Michel de Roux, nous sommes ici plus encore loin des canons actuels et décidemment la voix parait trop légère pour un diable se frottant à Moizan ou Mollien. Même commentaire pour sa femme au disque Collard. Claude Geny, lui aussi au timbre clair, assure un mâle marquis.
Direction très théatrale ; dommage qu’il y ait autant de souffle.
A noter que Malibran le réédite avec la Navarraise (Moizan, Vanzo, Mars, Hartemann, 1962) où la prise de son nous restitue la voix de Moizan même si elle est une Anita un peu chic pour cet opéra vériste et où Vanzo est égal à lui-même : un cadeau pour l’écoute.
Peu de temps après, un second studio intégral de 1963 dirigé par Roger Alpres toujours avec Geneviève Moizan, accompagnée ici par André Mallabrera et Xavier Depraz.
De grands noms mais dont l’écoute date toujours aussi clairement notamment pour les deux premiers avec ce vibrato aigrelet, témoin d’une époque révolue Et puis Depraz, exact de format vocal, est trop sérieux.
Une version concert enregistrée en 1993 à Saint Etienne, dirigée par Patrick Fournillier, la plus connue. Michèle Command peut donner à certains l’impression de jouer la grenouille qui joue elle-même au bœuf (certaines notes passées en forte gagneraient en nuance) mais l’interprétation est émouvante et elle campe une Grisélidis qui maitrise sa destinée et en impose vocalement. Jean-Luc Viala (Alain) tout en juvénilité impressionne dès l’air d’entrée par le rayonnement de ses aigus, le charme de la voix, et Didier Henry compose un Marquis irréprochable de style. Mais le succès de l’enregistrement repose sur la performance de Jean-Philippe Courtis. Il compose le Diable de référence, drôle, roublard, bon enfant et couard devant sa femme puis cynique pour gagner son pari. Il fut un des plus beaux éléments de la scène française dans les années 80 & 90 et offre une leçon de chant et de style
Enfin une seconde version live (issue de représentations au festival de Wexford en 1982) avec Rosemary(ie) Landry (Grisélidis), Sergei Leiferkus (le Marquis), Howard Haskin (Alain) et Günter von Kannen (le Diable) ; Robin Stapelton assure la direction.
Hormis l’Acadienne Landry, aucun francophone dans la distribution, il ne faut pas s’attendre à des miracles et cela va du bon (Howard), à l’acceptable (Kannen) voire au moins bon (Leiferkus)
Alain & Grisélidis attirent les mêmes commentaires : un timbre voilé et des aigus où l’effort s’entend et une interprétation qui ne marque pas les mémoires (on s’ennuie même carrément lors du duo avec un ténor qui compte ses temps et se préoccupe de ses aryténoïdes et une soprano inaudible qui essaie de masquer des limites vocales rapidement atteintes et la battue trop lente et apathique n’arrange pas les choses). Leiferkus, attribution de luxe, offre bien sur le meilleur Marquis de la discographie avec des moyens magnifiques et une remarquable interprétation mais il est rarement compréhensible.
L’Albérich de Bayreuth s’amuse dans son rôle de Diable et le matériau est beau, vocalement c’est certainement le plus intéressant des quatre mais pour le style il a à priori un peu trop écouté le Mephisto de Christoff.
La direction de Stapelton joue clairement la carte de la tendresse et du charme avec de très belles couleurs mais cela manque de nerf et confine à l’ennui trop souvent.
En bonus tracks : des extraits de Cendrillon avec Quilico, Forrester & Von Stade (Ottawa 1979)
Au bilan ? Deux studios et deux live ce qui illustre aussi la tendance actuelle pour des oeuvres peu rentables. Les deux premiers enregistrements datent par trop et sont réservés à un public averti (je ne doute pas qu’Altini & Marcelin Duclos les connaissent) mais j’insiste : prenez le temps d’écouter Mollien, vous ne le regretterez pas.
Si les valeurs vocales du Diable et du Marquis plairont à un public non francophone (mais pas un ténor ennuyeux comme la pluie ni une soprano dépassée par la tessiture, la version Fourniller reste la référence avec un plateau entièrement respectueux de la langue et du style, et qui vit.
Lors de sa création Reynaldo Hahn écrivit à Jules Massenet :
« Le mystère calme du prologue, le débordement de tendresse du premier acte, l'énervante et délicieuse ivresse du 2nd, l'énergie simple et noble du dernier m'ont enchanté […]
Ce que j'ai le plus admiré, c'est l'effroyable angoisse de la fin du 2e acte, à partir du moment où ils s'asseyent sur le banc […]
Ce que j'ai le plus aimé, c'est la ravissante et belle élégie de Grisélidis à son entrée (2e acte). Ce sont mes deux points extrêmes. Et entre eux, que de beautés !
Mais avant tout, surtout et après tout, l'orchestre ! […]
Ni Esclarmonde, ni Werther,ni aucun de vos ballets, ni la fiévreuse Manon, ni Cendrillon (dont l'orchestre pourtant… !) ni rien, n'est comparable dans votre œuvre à cette orchestration. »
Pour moi j’y ai puisé mon avatar et j’avoue ma faiblesse pour cette oeuvre qui se déroule en Provence.
L’histoire ? Le Marquis de Saluces, époux de Grisélidis, en partant en croisade défie le Diable de prouver que sa femme puisse être infidèle. Pari relevé et le Diable qui se présente sous un visage de bon Diable (il deviendra franchement désagréable à la fin) saisit l‘occasion de venir se détendre les pattes (sabotées) sur terre et surtout de fuir sa virago de femme qui le suit partout n’ayant aucune confiance en lui (c’est normal, elle porte déjà des cornes). L’air d’entrée du Diable « Qu’on est bien loin de sa femme » est un sommet mais comme il dit si bien «quand le chat n’est pas là les souris dansent » juste avant qu’une aigre voix ne retentisse « le chat est là Monsieur ». Raté la Diablesse débarque et empêche ce bon bougre de tester par lui-même la fidélité de la Marquise. Qu’à cela ne tiennent il lui envoie dans les pattes le jeune berger Alain (« ouvrez-vous sur mon front portes du paradis » »je suis l’oiseau que le frisson d’hier chasse de la ramée ») mais la Marquise résiste. Le Diable perdant patience, triche et lui enlève son fils Loys.
Mais tout finira bien Sainte Agnès ramènera l’enfant à ses parents et chassera « le Diable de ces lieux à jamais »
A ma connaissance quatre versions :
Un studio de 1959 dirigé par Gustave Cloëz avec Geneviève Moizan, Janine Collard, Jean Mollien, Michel Roux & Claude Geny. Il s’agit d’une version en extraits
Jean Mollien surprend par l’énergie des aigus dès l’entrée, et l’élégance du chant. Même si cela date un peu, un ténor qui ne sonne jamais mièvre mais jeune, romantique et viril (je connais des jeunes ténors qui ne perdraient pas leur temps à l’écouter) Geneviève Moizan a les exacts moyens du rôle et la fraicheur de voix nécessaire mais l’écoute est malheureusement réservée aux habitués de l’époque d’autant plus que la prise de son ne la flatte pas et rend sa voix étriquée. Sautereau surprend par sa jeunesse dans le rôle de Betrade, plutôt dévolue aux duègnes. L’utilisation de timbres clairs pour les registres bas ou médians trahit décidemment l’âge de l’enregistrement. Après Sautereau, Michel Roux. Au-delà de l’intelligence du chant et de l’interprétation de Michel de Roux, nous sommes ici plus encore loin des canons actuels et décidemment la voix parait trop légère pour un diable se frottant à Moizan ou Mollien. Même commentaire pour sa femme au disque Collard. Claude Geny, lui aussi au timbre clair, assure un mâle marquis.
Direction très théatrale ; dommage qu’il y ait autant de souffle.
A noter que Malibran le réédite avec la Navarraise (Moizan, Vanzo, Mars, Hartemann, 1962) où la prise de son nous restitue la voix de Moizan même si elle est une Anita un peu chic pour cet opéra vériste et où Vanzo est égal à lui-même : un cadeau pour l’écoute.
Peu de temps après, un second studio intégral de 1963 dirigé par Roger Alpres toujours avec Geneviève Moizan, accompagnée ici par André Mallabrera et Xavier Depraz.
De grands noms mais dont l’écoute date toujours aussi clairement notamment pour les deux premiers avec ce vibrato aigrelet, témoin d’une époque révolue Et puis Depraz, exact de format vocal, est trop sérieux.
Une version concert enregistrée en 1993 à Saint Etienne, dirigée par Patrick Fournillier, la plus connue. Michèle Command peut donner à certains l’impression de jouer la grenouille qui joue elle-même au bœuf (certaines notes passées en forte gagneraient en nuance) mais l’interprétation est émouvante et elle campe une Grisélidis qui maitrise sa destinée et en impose vocalement. Jean-Luc Viala (Alain) tout en juvénilité impressionne dès l’air d’entrée par le rayonnement de ses aigus, le charme de la voix, et Didier Henry compose un Marquis irréprochable de style. Mais le succès de l’enregistrement repose sur la performance de Jean-Philippe Courtis. Il compose le Diable de référence, drôle, roublard, bon enfant et couard devant sa femme puis cynique pour gagner son pari. Il fut un des plus beaux éléments de la scène française dans les années 80 & 90 et offre une leçon de chant et de style
Enfin une seconde version live (issue de représentations au festival de Wexford en 1982) avec Rosemary(ie) Landry (Grisélidis), Sergei Leiferkus (le Marquis), Howard Haskin (Alain) et Günter von Kannen (le Diable) ; Robin Stapelton assure la direction.
Hormis l’Acadienne Landry, aucun francophone dans la distribution, il ne faut pas s’attendre à des miracles et cela va du bon (Howard), à l’acceptable (Kannen) voire au moins bon (Leiferkus)
Alain & Grisélidis attirent les mêmes commentaires : un timbre voilé et des aigus où l’effort s’entend et une interprétation qui ne marque pas les mémoires (on s’ennuie même carrément lors du duo avec un ténor qui compte ses temps et se préoccupe de ses aryténoïdes et une soprano inaudible qui essaie de masquer des limites vocales rapidement atteintes et la battue trop lente et apathique n’arrange pas les choses). Leiferkus, attribution de luxe, offre bien sur le meilleur Marquis de la discographie avec des moyens magnifiques et une remarquable interprétation mais il est rarement compréhensible.
L’Albérich de Bayreuth s’amuse dans son rôle de Diable et le matériau est beau, vocalement c’est certainement le plus intéressant des quatre mais pour le style il a à priori un peu trop écouté le Mephisto de Christoff.
La direction de Stapelton joue clairement la carte de la tendresse et du charme avec de très belles couleurs mais cela manque de nerf et confine à l’ennui trop souvent.
En bonus tracks : des extraits de Cendrillon avec Quilico, Forrester & Von Stade (Ottawa 1979)
Au bilan ? Deux studios et deux live ce qui illustre aussi la tendance actuelle pour des oeuvres peu rentables. Les deux premiers enregistrements datent par trop et sont réservés à un public averti (je ne doute pas qu’Altini & Marcelin Duclos les connaissent) mais j’insiste : prenez le temps d’écouter Mollien, vous ne le regretterez pas.
Si les valeurs vocales du Diable et du Marquis plairont à un public non francophone (mais pas un ténor ennuyeux comme la pluie ni une soprano dépassée par la tessiture, la version Fourniller reste la référence avec un plateau entièrement respectueux de la langue et du style, et qui vit.