Images du monde flottant

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faustin
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Images du monde flottant

Message par faustin » 01 janv. 2005, 16:25

Images du monde flottant
Peintures et estampes japonaises XVIIe-XVIIIe siècles
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Exposition au Grand Palais
Jusqu?au 3 janvier 2005
L?art du monde flottant ukiyo-e
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Ukiyo-e est le thème de l?exposition du Grand Palais qui fermera ses portes après-demain le 3 janvier.

Ukiyo-e est un terme disparu du vocabulaire japonais moderne qui au départ traduisait la notion de monde de tristesse, d?affliction, réalité présente et évanescente, illusoire selon la pensée bouddhique. Il a par la suite désigné celui du divertissement et du plaisir, le « monde flottant », soumis aux variations de la mode et à la fluctuation des désirs. Tout en conservant une touche de mélancolie ukiyo-e désigne le monde actuel avec ses fêtes et la vie dans les quartiers de plaisir.

Le romancier Asai Ryoi décrit ainsi le monde flottant : « vivre seulement pour l?instant contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleur et les feuilles d?automne, aimer le vin, les femmes et les chansons, se laisser porter par le courant de la vie comme la gourde flotte au fil de l?eau ».

La propension à célébrer l?existence sous son aspect fondamentalement mouvant est un trait que la civilisation japonaise a hérité du bouddhisme.

L?art de l?ukiyo-e, écriture simple et immédiate du désir est l?éminente expression de l?esthétique japonaise dans ce qu?elle a de plus subtil. Il est apparu comme une protestation à peine voilée contre les idéaux néo-confucianistes d?austérité et de rigueur morales prônées par le pouvoir shogunal d?extraction militaire. Il faut préciser qu?au début du XVIIe siècle, l?avènement du gouvernement Tokugawa avait mis fin à des siècles de guerre civile et avait instauré une ère de prospérité qui avait favorisé l?émergence de classes urbaines aisées. Rien d?étonnant qu?à cette prospérité retrouvée ait correspondu un souci d?hédonisme dont l?art ukiyo-e était l?expression privilégiée. À l?extrême de cette tendance se trouvent les « images de printemps », dites shunga aimable façon de qualifier des représentations érotiques particulièrement torrides.

Au cours du XVIIe siècle, cet art s?exprime sur des peintures sur paravents et sur des rouleaux de tissus. C?est l?époque des « beautés » de l?ère kanbun dont les chefs d??uvre sont souvent anonymes.

Vers la fin du XVIIe siècle, la demande se faisant plus forte, la technique de l?estampe sur bois, ou xylogravure, prend son essor. Les premières estampes de l?ukiyo-e sont monochromes et c?est aux alentours de 1740 que la xylographie polychrome fait son apparition. Au début, le nombre de couleurs est limité à deux tons principaux le rose pourpre et le vert. Okumura Masanobu parvient à une gamme quasi illimitée de couleurs sur un papier presque translucide grâce à l?emploi de planches d?impression de plus en plus nombreuses.

Ces ?uvres peintes et gravées s?attachent à décrire le monde clos des quartiers réservés, et tout particulièrement le plus célèbre d?entre eux, celui d?Edo, actuelle Tokyo, Yoshiwara et de ses fameuses « maisons vertes ». La célébration de la nature, si essentielle pour l?âme japonaise, n?est cependant pas absente des sujets.

La liberté de ton adoptée est liée au statut peu élevé de ces images dans la hiérarchie contemporaine des genres picturaux. On y trouve illustrations de romans et d?anthologies d??uvres littéraires célèbres et même des illustrations de guides des quartiers de plaisir (Hishikawa Moronobu Guide de l?amour au Yoshiwara).

Le grand sujet de l?art ukiyo-e est la célébration de la beauté féminine, que les femmes représentées soient courtisanes, actrices ou danseuses mais les acteurs de théâtre kabuki interprètes de rôle féminin ont également été l?objet de l?attention des artistes, en particulier du plus célèbre d?entre eux, Kitagawa Utamaro.

Souvent, les ?uvres sont à la frontière entre le portrait et la scène de genre ; des saynètes sont esquissées. Une lettre reçue par une jeune courtisane suscite la jalousie de ses deux compagnes ; des jeunes filles sont en partance pour le théâtre ; travestissements élégants des sept Komashi ; deux amants épiés par une servante etc.
Les références aux grandes ?uvres littéraires du Japon sont souvent présentes.

Pour ce qui est du style, la ligne est privilégiée aux dépens de l?expression des volumes ou d?une perspectives réaliste. L?immense et somptueux vêtement dont la femme est parée donne au motif une allure abstraite qui exalte la grâce de la personne représentée. Les images du monde flottant réalisent ainsi une écriture calligraphique du corps féminin et de ses inflexions.

Une attention extrême est portée par les artistes aux détails décoratifs des vêtements et de la coiffure qui contraste avec une relative uniformité des visages

Les ?uvres présentées proviennent pour la plupart du Musée Guimet et de divers musées japonais. Les ?uvres de l?art ukiyo-e ont connu une grand vogue quand elles ont été découvertes en Occident à la fin du XIXe siècle. Edmond de Goncourt avait contribué à en assurer la célébrité. De grandes collections ont été constituées en France, elles se trouvent maintenant au Musée Guimet. Il n?y a de nos jours plus guère de grands collectionneurs français pour ce type d?art à l?exception notable de Norbert Lagane qui a transmis ses richesses au Musée Guimet.


Parmi les ?uvres exposées, j?ai choisi d?en commenter cinq.
1. Danses élégantes
Anonyme ,
Musée Guimet
On peut dater ces peintures de l?ère Kanbun 1661-1673
Neuf panneaux représentent les uns des danseurs, les autres des danseuses en cercle. Le trait est plein d?humour et la répétition des motifs fait penser à un dessin animé

2. Danseur
Anonyme
Musée Guimet
Cette peinture sur rouleau de tissu (kakemono) se rattache par son style aux peintures de beauté de l?ère Kanbun (1661-1673) , mais le fait que le sujet soit un homme en fait une ?uvre très originale. Le danseur est arrêté dans une posture chorégraphique contournée qui réalise une forme admirable. La richesse du vêtement indique que la peinture est antérieure à l?édit somptuaire de 1683 qui interdit l?emploi dans les costumes de broderie et de fil d?or.

3. La visite secrète
Sugimura Jihei
Actif entre 1681 et 1698
Epoque Edo première moitié de l?ère Genroku (1688-1703)
Sumizuri (estampe monochrome), rehauts de couleur posés au pinceau
Musée Guimet
Là, on est au sommet du génie !
La scène représentée se réfère à un drame composé au Xve siècle, je passe.
L?image se déploie au sein d?une architecture de palais rendue selon des conventions propres à l?époque. Perspective dite à « toit enlevé » permet d?embrasser d?un mêmes regard les scènes situées à l?extérieur comme à l?intérieur des pièces.
Il y a une multiplicité de plans, qui s?enchevêtrent, trois principaux, cette composition est d?une haute virtuosité.

4. Marchand ambulant d?estampes
Attribué à Torii Kiyonobu II
Époque Edo vers 1730-1740
Musée Guimet
Cette estampe, extrêmement pittoresque, donne à voir un acteur de théâtre kabuki, Ichikawa Monnosuke dans le rôle d?un marchand ambulant d?estampes, portant sur son dos une volumineuse boîte qui ressemble à un petit château contenant son chargement, richement décorée d?inscriptions calligraphiées . la colporteur tient à la main une tige sur laquelle sont accrochées quelques de beautés en kimono. Il y a là une mise en abîme du plus bel effet.

5. Les trente deux traits féminins
Nishimura Shigenobu
Époque Edo
entre 1729 et 1739
Musée Guimet
Les trente deux traits féminins sont une allusion irrévérencieuse aux trente-deux marques d?éminence du Bouddha.
La femme est entourée d?inscriptions calligraphiques qui évoquent les éléments de séduction chez une femme et l?alliance entre le dessin et les signes calligraphiés est du plus bel effet.
L?image est d?une grande originalité ; la femme représentée est vue de dos ce qui pour l?art ukiyo-e est exceptionnel. Le dessin du kimono aux manches immenses et qui se termine par une traîne est d?une grâce inouïe et la forme ainsi réalisée d?une beauté prodigieuse.
L?image est jaune orange sur un fond jaune, ce qui lui donne à l?ensemble un caractère d?irréalité. C?est un trait qui est privilégié, cette femme dont on ne voit pas le visage est plutôt abstraite.
Comme toujours dans l?art ukiyo-e, le dessin des vêtements est extraordinairement soigné ; les motifs floraux qui ornent le kimono font abstraction des plis du vêtement. C?est un degré de plus dans le non réalisme.

Faustin

PS Si n?avez pas pu voir cette exposition, vous pouvez vous consoler en vous procurant le catalogue Images du monde flottant, Réunion des Musées Nationaux. Il y a quantité d?ouvrages remarquables sur ce sujet.

Si ce que j?ai écrit vous donne envie de voir des images et d?obtenir davantage de renseignements, faites sur un moteur de recherche images du monde flottant et il vous sera proposé un certain nombre de sites.

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