Dans ce que tu dis il y a l'essentiel à mon sens de ce qui fait la puissance de cette jouissance pleine que j'ai éprouvée en entendant A. Kraus dans le Duc , mais aussi dans les rôles ou les airs où je l'ai trouvé insurpassable .veniziano a écrit :(...)j'étais à Orange en 1980, et j'y ai vu le Duc de Mantoue idélal pour moi, la grande classe , j'y ai vu un grand seigneur, sur de lui et nottamment de sa technique. (...).
Je me souviens notamment avoir entendu à Paris à quelques mois d'intervalle Pavarotti dans la romance de Nemorimo ( qu'il avait d'ailleurs bissée , ce qui ne se faisait plus du tout , en agitant son mouchoir ...ONP fev 87!) et Kraus donner cette même Una furtiva lagrima (en bis de son récital du TCE (juin 86) .
Grandioses étaient ces monstres mais à 6 mois d'intervalle , Kraus avec un piano était Nemorino , Pavarotti au théatre était Pavarotti !
Tu le dis : le personnage dans sa certitude , un grand seigneur , un romantique , un personnage de Caspar David Friedrich , ce mélange du latin et de l'Europe centrale . Et la technique , la technique chez Kraus , c'est vraiment la principale ( mais pas suffisante) force de son art . L'art , la maitrise de l'art qui lui permettait d'aller au bout des notes , les notes en tant qu'émanation de l'intention dans la phrase . Les notes hautes étaient chez Kraus ,non pas une décoration du texte mais une exaltation de la vérité du personnage .
Quand on a encore son "addio" du Duc , la note finale , je ne sais pas quel contre -quelque chose c'est ( je ne suis pas assez musicien pour connaitre les partitions ) , mais cette note n'est plus facultative quand Kraus la fait comme il la fait .
Son aigu comble l'harmonie de l'instant , clôt définitivement la scène qui se déroule , lui donne un sens plein (un "point de capiton" aurait dit mon maître Lacan)
Comme il n'y a pas de chose tirée ( jamais de stecca) produite dans la souffrance du doute , mais produite de l'art , du travail prêt au bon moment , on a là une chose aussi parfaite qu'il est possible ; comme lorsqu'on regarde avec une loupe la "finition absolue" des personnages microscopiques se promenant sur le pont lointain de "La Vierge du chancelier Rolin".
Donc oui , la technique est une valeur qui est écrite dans Verdi .
Ce que tu dis "de la grande classe" ,j'appellerais ça le "goût" qu'il met toujours dans chaque phrase , dans chaque nuance , dans une articulation incisive : Kraus chantait chaque note , mais il chantait aussi chaque mot placé dans une ligne . Son corps accompagnait sans composition un personnage devenu "naturel" avec peu de gestes et sans surjouer. Le personnage prenait la lumière , pas le chanteur .
Ce qui n'était pas le cas , jamais chez Pavarotti , mais ce qui n'est pas toujours le cas non plus chez Domingo .
Bernard