La Voix féminine et le plaisir de l’écoute par S. Nancy

Biographies, livres historiques et autres bouquins relatifs à l'opéra.
Répondre
Avatar du membre
JdeB
Administrateur ODB
Administrateur ODB
Messages : 26499
Enregistré le : 02 mars 2003, 00:00
Contact :

La Voix féminine et le plaisir de l’écoute par S. Nancy

Message par JdeB » 09 oct. 2012, 13:28

Sarah NANCY, La Voix féminine et le plaisir de l’écoute en France aux XVII e et XVIII siècles, Paris, Classiques Garnier, 2012, 402 p. + CD (36 euros)

Cet ouvrage est la refonte d’une thèse de littérature soutenue en 2007 à Paris III sous la direction d’Hélène Merlin-Kajman : La Voix féminine et le plaisir de l’écoute, des rhétoriques à la tragédie en musique. Il met l’accent de manière novatrice sur « la curieuse discrétion de la voix féminine dans la tragédie en musique » conçue sur le modèle fondé par Lully et Quinault qui a prévalu de 1673 (Cadmus et Hermione, premier opus du fameux tandem) jusqu’en 1763 (Polyxène de Dauvergne).

Cette « discrétion » est liée à une écriture vocale très centrale : les rôles féminins culminent au sol 4 et ne descendent dans le grave que très rarement (le cas du contralto Mlle Maupin fait figure d’exception à cet égard comme sur bien d’autres plans dans ces « opéras sans diva »…)
Sarah Nancy y voit un « désir d’atténuer une singularité de la voix des femmes. Et tout se passe, ajoute-t-elle, comme si les auditeurs souhaitaient précisément que la différence de tessiture, donc de timbre, avec les voix d’hommes ne soit pas outrageusement marquée, comme l’illustre, par exemple, la présence manifesté par Lecerf pour une écriture centrale dans les trios limitant la perception individuelle des voix de dessus ». (p. 103). De même, la voix de fausset pour les hommes est-elle associée au timbre des castrats, frappés d’ostracisme sur les scènes françaises, et donc perçue « comme un désagrément très choquant pour l’Auditeur » selon Grimarest dans son Traité du récitatif. On constate aussi dans les nombreux comptes-rendus suscités par ces spectacles, parfois très détaillés, que les chanteuses y sont désignées comme « Actrices » et que la place qui leur est accordée dans ces articles est fort réduite tandis que les traités de chant se focalisent presque exclusivement sur la prononciation.

Ce nouveau genre lyrique revivifie un antique débat sur l’éloquence, Cicéron stigmatisant déjà le « chant obscur », une condamnation relayée par Saint Augustin. L’auteur se penche sur « ce qui se trouve tenu à l’écart du fait même de cet investissement dans la fonction sociale du Langage » en étudiant cette « résistance à faire de la voix féminine un lieu de plaisir, d’oubli et d’abandon » en raison d’« un investissement éthique du poétique ». Elle met en évidence l’émergence d’une écoute qui trouve un équilibre subtil entre l’attrait non exclusif ni idolâtre pour la voix pure et un lien avec le logos qui ne soit pas une « allégeance servile à l'ordre de la raison et du langage » avec une césure au cours de la première moitié du XVIII ième. C’est à ce moment là que, selon elle, le « caractère fatalement vocal que l’on prête à l’expression des femmes, et, symétriquement, leur supposée propension à laisser passer quelque chose de leur nature dans le chant sont là pour aider l’auditeur à croire qu’il accède, par l’opéra, à une parole plus vraie, saisie à sa source. »


On a relevé une petite inexactitude à la note 1 de la page 101 qui concerne le pape-poéte Clément IX présenté comme « auteur d un opéra ». En fait, le cardinal Giulio Rospigliosi a écrit, avant d’accéder au trône de Saint Pierre, au moins sept livrets (Il Sant’Alessio de Landi, La vita humana de Marazolli pour la Reine Christine de Suède exilée à Rome, Il palazzo incantato de Luigi Rossi, La comica del cielo d’Antonio Maria Abbatini, Erminia sul Giordano de Michelangelo Rossi, …)
La bibliographie est riche d’une bonne cinquantaine de pages mais la discographie laisse plus perplexe. Il y figure aussi un DVD, le Zoroastre mis en scène par Pierre Audi, sans que cela soit précisé, il manque au moins trois intégrales de Lully par C. Rousset (Roland, Persée, Bellérophon) et l’on s’interroge sur la présence, dans un tel contexte, de l’album Vivaldi Heroes de P. Jaroussky.


L’on se réjouit de l’adjonction à ce livre savant et souvent savoureux d’un CD d’airs connus (« Espoir si cher et si doux » de Cybèle, « Tristes apprêts » de Télaïre) ou rarissimes (celui de la Méduse de Gervais, les extraits de Théagène et Chariclée de Desmarets, de la Marthésie de Destouches, Hésione de Campra, Philomèle de Lacoste, …) interprétés par la jeune universitaire elle-même qui nous en offre à la fois l’étoffe vocale et une analyse détaillée.

Jérôme Pesqué
Parution de ma biographie "Régine Crespin, La vie et le chant d'une femme" ! Extraits sur https://reginecrespinbiographie.blogspot.com/
Odb-opéra

toscadecoigny
Alto
Alto
Messages : 444
Enregistré le : 19 juin 2005, 23:00

Re: La Voix féminine et le plaisir de l’écoute par S. Nancy

Message par toscadecoigny » 14 mai 2013, 10:06

Je vais essayer de me le procurer. Surtout pour le CD, car, même si je ne suis pas une passionnée exclusive du baroque, je m'y interesse à l'occasion. J'ai les Tragédiennes de Veronique Gens, par exemple, et j'aime ces 3 albums. Et ces titres, qui m'intriguent. Un titre comme Méduse, comme Hésione...

Répondre