paco a écrit : ↑10 mars 2018, 15:33
Sinon, concernant Korsky, oui moi aussi j'adore d'habitude, mais là déjà le teasing du ROH m'avait alerté et les réactions presque unanimes confirment que Carmen n'est pas son univers. Je pense qu'il s'est un peu trop dit "Bizet c'est de l'opérette et Carmen c'est de l'Espagne et son folklore" et il en a rajouté dans le genre Musical déjanté hispanisant, ce qui n'est pas du tout l'essence de cet opéra. Et puis rien qu'en voyant les photos du décor on devine qu'avec cet immense escalier vertical la direction d'acteurs doit être inexistante (impossible de bouger sans se fouler une cheville...).
Je dois être le seul Odbien du coup, à avoir assisté à cette
Carmen, la semaine dernière à la ROH. C'était la dernière représentation avec Goryachova et Meli, donc celle retransmise par la BBC et dans les cinémas, la même dont a parlé Hélène. Je n'avais quasiment aucun son de cloche avant d'y aller hormis paco, et je confirme en grande partie les remarques qui ont été faites.
Effectivement, j'ai été très déçu par ce spectacle dont la bande-annonce m'avait intrigué. "Ennui, tension gommée, plus de passion", évidemment car comme l'a évoqué Hélène, toutes les scènes parlées ont été supprimées au profit d'une voix off qui est celle de Carmen qui devient la narratrice de l'action. Une voix enregistrée qui contrairement à ce que je pensais n'était pas celle de Goryachova, car enregistrée pour la création du spectacle à Francfort en 2016 d'un ton lancinant et dans un français loin d'être irréprochable. Pas étonnant que l'on s'ennuie. Autour de moi, les spectateurs n'ont pas arrêté de soupirer. Certains sont partis à l'entracte, d'autres pendant le spectacle et ont même manifesté leur mécontentement bien fort en tapant des sabots sur le parquet pour gagner la sortie (surprenant de la part d'un public Anglais). J'avais du mal à être intéressé par ces longs monologues soporifiques bien que francophone, je n'ose pas imaginer ce que ça a dû être pour ceux qui devaient se contenter uniquement des surtitres. Certains déploraient récemment que l'on puisse s'ennuyer pour
La Bohème à Bastille, c'est maintenant chose faite pour
Carmen avec cette production.
La première intervention après la première partie du prélude fonctionne plutôt bien avec un portrait très sensuel et coquin du corps féminin qui fait sourire voire rire la salle et pose d'emblée la force de séduction de Carmen, pour l'occasion vêtue de l'habit de lumière des toreros qui lui confère une belle androgynie que l'on retrouvera à plusieurs reprises selon ses différents costumes. A noter que Kosky voit en Carmen une soeur de Lulu et de la Belle-Hélène. Mais l'énorme problème vient du fait que passées l'originalité et la relative pertinence du procédé en début de soirée, les deuxième et troisième actes paraissent interminables et ennuyeux, la voix off n'étant qu'un jonglage permanent entre discours direct, indirect, indirect libre et narrativisé à partir des dialogues originaux. Rien de plus ! Dans ces conditions, l'incarnation est sévèrement amputée chez les chanteurs, privés d'une partie élémentaire de leur rôle. Alors oui, on sent que le public s'ennuie, mais on imagine aussi la frustration que ça a pu être pour les chanteurs de ne pas pouvoir interpréter leur rôle en intégralité. L'énergie et l'engagement des chanteurs s'en ressentent. Et malgré une distribution qui aurait pu faire valoir de forts beaux moments, à aucun moment la magie n'opère. C'est fort dommage, et on ne retiendra pas grand-chose de chacun, même de Goryachova pourtant omniprésente sur le plateau.
Certains rôles passent totalement à la trappe et sont réduits à de la pure utilité/figuration vocale comme Zuniga ou Dancaïre et Remendado, les deux seuls francophones de la distribution (Pierre Doyen et Jean-Paul Fouchécourt dont on regrette de ne pouvoir goûter l'abattage et la truculence). En revanche, d'autres sont un peu mieux servis comme Moralès qui se fait remarquer scéniquement grâce à ses couplets avec chœur et pantomime réhabilités au premier acte. Même chose dans une moindre mesure pour Frasquita et Mercédès interprétées par deux jeunes chanteuses du JP Young Artists Programme de la ROH, pleines d'énergie et d'engagement, elles aussi très sollicitées scéniquement et chorégraphiquement.
La chorégraphie justement, est le point fort du spectacle malgré le côté Broadway parfois un peu trop inutilement appuyé. On bascule alors dans une certaine vulgarité
cheap , mais on apprécie malgré tout que les corps s'animent avec autant de vivacité et d'énergie sur toutes ces mélodies qui paraissent particulièrement entraînantes ("Avec la garde montante", "Nous avons en tête une affaire", "Les voici, les voici", très réussis en tous points).
Pour répondre à paco, on a effectivement ce côté "Musical déjanté", mais fort peu hispanisant. Kosky a à mon avis bien compris que
Carmen avait plus à voir avec la France qu'avec l'Espagne, seul subsiste l'habit de lumière d'Escamillo. Autrement, pas vraiment de références à ce folklore-là.
Concernant le grand escalier (qui n'est pas que noir) faisant office de décor unique, il n'est en rien un frein à la direction d'acteurs, les solistes évoluant souvent à l'avant-scène. En revanche, là où il est très gênant est quand il est dévalé à toute vitesse à chaque entrée et sortie des chœurs qui rendent l'orchestre quasi-inaudible. A propos du chœur de la maison, il a été àmha le grand triomphateur de la soirée. J'ai été très frappé par la qualité de sa diction française, son énergie et sa précision exemplaires. Très belle homogénéité des pupitres en particulier chez les hommes, et enfin une grande pertinence de style (comparable aux représentations dirigées par Gardiner à l'Opéra Comique).
Concernant les interprètes principaux, on se prend à penser que Don José et Micaëla pourraient triompher aux saluts après quelques beaux moments lors de leur duo au premier acte, mais l'espoir ne dure pas.
Francesco Meli qui possède d'immenses qualités dans le répertoire italien paraît finalement à côté de ses pompes après son air du II où il enfile des perles, fait entendre des voyelles tout sauf françaises et déraille sur les deux derniers aigus. Dommage, j'attendais mieux de cet artiste qui n'en est pas à son premier Don José.
La Micaëla de
Kristina Mkhitaryan possède une voix soyeuse, suffisament corsée et un timbre clair et séduisant que vient malheureusement ternir un vibrato quelque peu préoccupant pour une artiste si jeune. La direction d'acteur semble avoir été réduite au strict minimum la concernant.
La Carmen de
Goryachova a été inégale d'un acte à l'autre, assumant des graves tantôt riches et sonores, tantôt détimbrés et couverts par l'orchestre. La présence scénique intrigue, mais difficile de dire dans ce contexte si Carmen est vraiment un rôle pour elle.
Enfin, le quatrième acte regagne en tension n'étant pas interrompu par la bande sonore. Dernière image qui finit d'enfoncer le clou : Carmen se relève (jusque-là classique) avant d'afficher un large sourire les bras écartés.
(Ah mais oui, c'est un opéra-comique, suis-je bête...)