Temistocle, de Jean-Chrétien Bach (1772)

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Sinfonia (manuscrit anglais de 1788)

 

Commande et représentations : l'opéra à Mannheim

Le musicologue Charles Burney (1726-1814), dans son Dr Burney's Musical Tours in Europe, fait allusion à l'ouverture prochaine de la saison d'opéra à Mannheim, qui avait traditionnellement lieu le 4 novembre, jour de la Saint-Charles Borromée, saint patron de l'Electeur Carl-Theodor IV von der Pfalz-Sulzbach. Cette ouverture était un évènement mondain important, qui scandait la vie de la principauté, et le choix de l'opéra prenait donc une extrême importance.

 

«[...] this opera [Schwetzingen] is very inconsiderable, compared with that of Manheim [...], in the winter, which is performed in one of the largest and most splendid theatres of Europe, capable of containing five thousand persons ; this opera begins the fourth of November, and continues generally, twice a week, till Shrove-Tuesday. I was informed that the mere illuminations of the Manheim theatre, with wax lights, cost the elector upwards of forty pounds, at each representation; and that the whole expense of bringing a new opera on this stage, amounts to near four thousand. The great theatre, the coming winter, was to be opened with an opera composed by Mr J Bach, who was daily expected here from London, when I was at Manheim. »
[Cet opéra ne saurait être comparé à celui utilisé en hiver à Mannheim, qui est donné dans l'un des théâtres les plus vastes et les plus somptueux d'Europe, capable de contenir cinq mille personnes ; il ouvre le 4 novembre et continue généralement deux fois la semaine jusqu'au Mardi Gras. On m'a assuré qu'à elle seule, l'illumination du théâtre de Mannheim, qui se fait avec des bougies en cire coûte à l'Electeur près de 40 livres par représentation, et que lorsqu'on y monte un nouvel opéra, les frais atteignent près de quatre mille. Dans ce grand théâtre, on doit donner l'hiver prochain un opéra de Mr. J. Bach, dont on attendait à tout moment la venue de Londres, alors que j'étais en ville.]

 

On sait que l'Electeur, passionné de musique, flûtiste virtuose et fin connaisseur, portait une attention extrême aux productions de son palatinat, quelles soient musicales ou autres. Jusqu'à son accession au trône de Munich et à son déménagement au cours de l'été 1778, la ville fut l'un des grands centres musicaux européens et une terre d'accueil à de nombreux musiciens, dont le rayonnement eut un impact.

Point fort de ce que l'on a appelé «École de Mannheim », l'orchestre, reconnu pour être l'un des tout meilleurs d'Europe.
Le musicographe Johann Adam Hiller (1728 - 1804) évoqua cette phalange, par une formule restée célèbre :

 

« Pas un orchestre au Monde n'a jamais surpassé celui de Mannheim pour ses exécutions. Son forte est un tonnerre, son crescendo une cataracte, son diminuendo un flot cristallin qui clapote dans le lointain, son piano un souffle printanier. » (Wöchentliche Nachrichten und Anmerkungen die Musik betreffend, 1767.)

 

Charles Burney, qui l'entendit dans un concert à Schwetzingen, précise que

 

« Ce n'est pas seulement au grand opéra de l'Electeur que la musique instrumentale a été portée à un tel degré de raffinement, mais à ses concerts, où cette troupe extraordinaire a le champ libre pour produire de grands effets sans risquer de détruire les beautés supérieures et délicates propres à la musique vocale. [...]. Les innovations dues au génie de Stamitz ont permis de rechercher tous les effets qu'un orchestre est capable de produire: c'est ici que naquirent le crescendo et le diminuendo; c'est ici encore que le piano (qui n'avait jamais été employé qu'en écho) et que le forte devinrent tous deux des couleurs musicales, susceptibles de nuances au même titre que le rouge ou le bleu en peinture. » (Dr Burney's Musical Tours in Europe, traduction de Michel Noiray)

 

Christian Daniel Friedrich Schubart (1739-1791) résuma ainsi cette ouverture d'esprit musicale exceptionnelle :

 

«[Carl-Theodor] ne se contenta pas d'attirer à sa cour les meilleurs virtuoses du Monde, de créer des écoles de musique, d'inciter ses sujets de génie à voyager ; il commanda aussi à grands frais les meilleures compositions de tous les genres dans l'Europe entière, et les fit exécuter par ses maîtres de musique. C'est ainsi que l'école de Mannheim se distingua très rapidement de toutes les autres : à Naples, Berlin, Vienne, Dresde, le goût était jusqu'à présent demeuré uniforme. Lorsqu'un grand maître y donnait le ton, cela demeurait ainsi jusqu'à ce qu'un autre apparaisse qui possédât assez de force de caractère pour supplanter le précédent. [...] Mannheim suscita l'admiration de tous par sa diversité. [...] L'esprit curieux et versatile du Prince-Electeur contribua beaucoup à la formation de ce goût. Jommelli, Hasse, Graun, Traetta, Sales, Agricola, le Bach de Londres, Gluck, Schweitzer alternaient au fil des ans avec les compositions de ses propres maîtres, de sorte qu'il n'y avait pas un endroit au Monde où l'on pouvait en peu de temps s'éduquer le goût avec autant de sûreté qu'à Mannheim. » (Ideen zu einer Ästhetik der Tonkunst, Degen, Wien, 1806, p. 129)

 

Si on ne sait exactement par quel biais le «Bach de Londres » reçut cette commande, on peut hasarder quelques conjectures. Sa grande réputation dans toute l'Europe fut une motivation majeure de cet engagement.
En outre, deux hommes influents dans le milieu musical de Mannheim ont pu proposer son nom, le ténor Anton Raaf et le flûtiste Johann Baptist Wendling, membre de l'orchestre. Le Padre Martini, ancien professeur du compositeur, a pu également jouer un rôle non négligeable, bien que plus discret ; on sait que ce dernier était en correspondance suivie avec Anton Raaf, aussi les deux hommes ont ils pu unir leurs efforts en ce sens.
Wendling, membre éminent de l'orchestre de Mannheim, était parti en tournée à Londres, accompagné de sa femme Dorothea et de sa fille ; il y rencontra le compositeur durant le mois de mai 1771. Il participa également à la création de la cantate Endimione de Bach, le 6 avril 1772. Cette cantate dut leur plaire, puisqu'elle fut redonnée à Mannheim durant l'été 1772 avec Dorothea Wendling dans le rôle de Diane (qu'avait tenu à Londres Cecilia Grassi, future épouse de Bach).
La fille des Wendling, Elisabeth (« Gustl ») qui eut par la suite une grande importance dans la vie de Bach, tint alors le rôle de l'Amour.
Wendling est de surcroît le dédicataire possible des sonates pour flûtes et cordes, op. 8.

Anton Raaf, alors considéré comme le plus grand ténor européen, était un vieil ami de Bach, puisque les deux homme s'étaient rencontrés en 1762 à Naples : Raaf avait chanté les rôles-titres de Catone in Utica puis d'Alessandro nell'Indie. Son influence s'étant déjà faite sentir pour l'obtention de cette seconde commande du San Carlo, et il est probable que le ténor vieillissant tenait à s'attacher les services d'un musicien qui savait composer selon ses désirs, comme on le verra plus bas.

Johann Christian Bach, arriva vraisemblablement à la fin de l'été 1772, afin de préparer l'opéra qu'on lui avait commandé, Temistocle, pour l'ouverture de la saison, après être probablement passé auparavant par Paris. Il logea chez les Wendling durant son séjour à Mannheim. Comme on l'a mentionné plus haut, la saison commençait le 4 novembre par des festivités qui duraient quatre jours.

L"oeuvre fut créée en grande pompe et dans une débauche de décorations. On dépensait en moyenne 40 000 gulden pour la mise au théâtre d'un nouvel opéra, qui demandait des décorations et des costumes entièrement neufs dont était friand le public. Pour des occasions solennelles, comme ce fut le cas pour Temistocle, les coûts pouvaient aller jusqu'à 70 à 80 000 gulden.
La production fut somptueuse, le décorateur étant Lorenzo Quaglio (1730-1804), qui travailla par la suite sur l'Idomeneo de Mozart.
Les ballets à machines insérés entre chaque acte, comme c'était l'habitude, furent chorégraphiés par Etienne Lauchery, ami et disciple de Jean-Georges Noverre. Les solistes étaient tous français. Le premier ballet, Rogerius auf der Insel der Alcine [Roger dans l'île d'Alcine] fut dansé sur une musique de Carl Joseph Toeschi (1732-1788) (virtuose du violon et membre de l'orchestre), et le second, Medea und Jason, qui comportait vingt sept entrées, fut mis en musique par Christian Cannabich. (Ces ballets furent également repris le 11 avril 1776.).
Le spectacle au total durait cinq heures. Carl Joseph Toeschi et Iganz Frängl dirigèrent l'orchestre.

 

 

Le theatre de Mannheim

 

Cette création d'un compositeur allemand allait à l'encontre du quasi-monopole qu'avaient les compositeurs italiens pour l'opéra à Mannheim, comme on l'avait vu pour Piccini qui avait donné en 1770 un Catone in Utica,qui marque le regain d'intérêt pour l'opera seria, après une période où le buffa avait eu la préférence.
Le théologien Carl Ludwig Junker (1748-1797) estimera que cela «honore davantage le prince-électeur que Bach lui-même. »
Dans son journal, Hazard, le Kammerfournier de l'Electeur rendit compte de la première en ces termes :

 

« A quatre heures, la cour se réunit dans une des antichambres des appartements de l'Electrice ; de là ils se rendirent à l'opéra. Beaucoup de visiteurs préférèrent rester incognito, parmi lesquels les Margraves de Baden, avec leur famille et leur suite. On leur attribua la grande loge dans la troisième galerie. Le prince héréditaire et la princesse de Hessen-Kassel occupèrent la loge grillée de corbeille sur la droite. La loge juste en face sur la gauche alla au prince et la princesse de Nassau-Weilburg et à la Comtesse von Neippberg ; les trois princes Radzivill se trouvaient près d'eux. Beaucoup de femmes de haut rang, qui étaient en visite dans le pays étaient venues incognito ; on les plaça dans la loge habituellement attribuée aux Jésuites. Les autres loges étaient complètement pleines, et beaucoup d'habitants de Mannheim n'eurent pas de place, et durent se consoler avec l'espoir d'une reprise. »

 

Le succès dut être bien grand, si le théâtre, avec ses 5000 places, était incapable de contenir le public désireux de se rendre à la représentation... Des reprises avérées eurent effectivement lieu les 22 février, 5 et 20 novembre 1773.
Il existe également des traces de reprises éventuelles pour les 20 novembre 1772, et les 17 janvier et 7 février 1773, qui peuvent avoir été ce Temistocle.

Si l'on manque de témoignages écrits en ce qui concerne les représentations elles-mêmes, on peut trouver une preuve indirecte du succès durable de l'oeuvre dans les adaptations qui en furent faites. Le monastère d'Einsiedeln (Suisse) conserve, outre des manuscrits de musique religieuse milanaise de Bach, des adaptations religieuses de certains airs de Temistocle.
Sur les copies manuscrites de chacune de ces contrafacta, on trouve l'intitulé du texte italien, suivi de son adaptation latine. Ainsi le Ch'io speri ? (n°1) devient un Beatus Vir, comme le Contrasto assai.. (n°6). La scène de Temistocle (n°7) devient un Haec est Dies. L'aria de Rossane (n° 11), fut adaptée en Lauda Sion, etc.. Seize numéros firent l'objet de ces adaptations parfois maladroites, mais qui montrent l'intérêt constant que suscita cette partition, puisque une version de Non m'alletta (n°7b) existe dans une version pour cordes, « écrite à Einsiedeln dans les derniers jours de juin 1826 » !

Le succès remporté par l'opéra n'empêcha pas Bach de repartir assez vite pour Londres. On l'y retrouve au début de l'année 1773. Sans doute la déception de se voir repoussé par Elisabeth Augusta Wendling est-elle en partie responsable de ce départ soudain. Bach aurait pu cependant espérer briguer la succession de Ignaz Holzbauer, alors directeur de l'opéra de Mannheim, dont les facultés auditives baissaient progressivement, et qui était loin de son apogée musicale (Un de ses opéras de 1777, Gunther von Schwarzburg s'attira pourtant les louanges de Mozart et de ses contemporains, qui y virent une victoire de l'opéra allemand contre le goût italien.)
Cependant Bach recevra une autre commande de Mannheim en 1774, Lucio Silla, dont le livret de Giovanni da Gamerrra fut également adapté par Mattia Verazi, et qui sera créé le 5 novembre 1775. La distribution est sensiblement la même que pour son opéra précédent. L'oeuvre eut moins de succès que la première.
L'abbé Georg Vogler (1749-1814), qui venait d'être nommé chapelain de la cour et qui succéda finalement à Holzbauer, en critiqua vertement la composition (lettre de Mozart datée du 13 novembre 1777), mais il faut sans doute y voir la preuve de son caractère parfois acerbe et la trace d'une jalousie professionnelle.


Le livret de Temistocle : une base pour des expérimentations musicales innovantes.

Le texte originel de Temistocle est celui d'un livret d'opera seria en trois actes écrit en 1736 par Pietro Trapassi, plus connu sous son nom de plume de Metastasio. Ce texte fut pour la première fois mis en musique par Caldara, et représenté le jour de la fête de l'empereur Charles VI, le 4 novembre de cette même année. (Il ne faut sans doute voir qu'un hasard dans la similitude des occasions qui suscitèrent la mise au théâtre de ces deux opéras, celui composé pour Vienne et celui donné à Mannheim quelques quarante ans plus tard.) L'opéra obtint uniquement un succès d'estime, Metastasio, trop sollicité, avait eu des difficultés à écrire son texte, qui souffre d'une action narrative moins linéaire que celle de ses précédentes productions.

Les sources antiques utilisées par le poète sont très probablement les Vitae de Plutarque (Thémistocle), ainsi que les Historiae de Thucydide (livre I), la Bibliotheca de Diodore de Sicile., et les Vitae de Cornelius Nepos.
Metastasio connaissait peut-être le Thémistocle de Pierre du Ryer (1605-1658), publié en 1648, qui comporte plusieurs points de convergence avec l'intrigue tissée par ce dernier. Le livret d'Adriano Morselli, Temistocle in bando, représenté à Venise en 1683, fut sans doute une source d'inspiration plus directe, comme le fut certainement le Temistocle de Zeno, mis en musique par Marc-Antonio Ziani à Vienne en 1701 (bien que ce dernier suive Thucydide et fait trouver asile au général grec auprès d'Artaserse.)

En dehors de la version mise en musique à Mannheim, ce livret de Metastasio se transforma en Artaserse Longimano (1737, Pampini) et servi également d'inspiration pour une tragédie lyrique de Philidor, représentée à Fontainebleau en 1785.

Ce texte de Metastasio fut profondément remanié pour Mannheim, sa structure nouvelle permettant une mise en musique plus complexe que dans l'opera seria plus traditionnel, mais en en gardant les principales caractéristiques. Ces transformations sont parfois considérables, comme on le verra plus loin. D'un livret parfois bancal le remodelage de Verazi fit un véhicule parfait pour les expérimentations de Johann Christian Bach, qui ouvraient la voie à la réforme dramaturgique de formes vieillissantes, et permettaient au génie du compositeur de se donner libre court, sans pour autant choquer un public encore attaché aux formes plus traditionnelles.

Il est malaisé d'analyser les remaniements de ce livret sans toucher mot du librettiste adaptateur, Mattia Verazi (Rome, vers 1730 , Munich, 20 novembre 1794), tant la carrière de ce dernier est intimement liée au grand mouvement de réforme de l'opéra. Ce romain écrivit, pour l'un de ses premiers travaux de librettiste, un livret pour Jommelli, Ifigenia in Aulide, en 1751. Ce premier texte montra la voie pour toutes ces innovations suivantes ; on y voyait déjà se profiler ce qui sera sa marque dramatique tout au long de sa carrière : des airs qui n'étaient pas suivis de la sortie immédiate du personnage, des ensembles conséquents lors des finales d'actes, une insistance inaccoutumée sur les situations pouvant provoquer terreur et horreur, et des finales d'opéra démontrant un sens du climat dramatique très différent de ce à quoi le public était habitué.

Verazi partit à Leipzig en 1755, et produisit pour Jommelli, devenu maître de chapelle à la cour du duc Carl-Eugène, des livrets inspirés de la tragédie lyrique. En 1756, il devint poète de cour au Palatinat, où il tint également la charge de secrétaire privé de l'Electeur Carl-Theodor. Il occupa ces deux postes jusqu'au moment où la cour se déplaça à Mannheim en 1778, date à laquelle il prit sa retraite.
Il écrivit Le nozze d'Arianna (1756) pour Holzbauer, mais curieusement, ne produisit pas de nouveau livret durant les quatre années suivantes. Sa correspondance avec Jommelli durant les années 1770 laisse supposer, que comme tout librettiste attaché à un théâtre de cour, il pratiquait des révisions sur des textes pré existants, pour Jommelli aussi bien que pour Holzbauer, le compositeur officiel et d'autres musiciens de passage à Mannheim. Les deux livrets révisés par Verazi pour Johann Christian Bach renforcent cette hypothèse, car tous deux présentent les même caractéristiques : resserrement de l'action sur les personnages principaux et des finales pour les actes I et II très développés, par rapport aux textes originaux, caractéristiques que l'on trouve dans les opere serie donnés à Mannheim, Stuttgart et Ludwigsburg durant les années 1760 et 1770, mais innovations très novatrices par rapport à la pratique italienne.
Ses collaborations avec Traetta (Sofonisba, 1762) puis Majo (Iphigenia in Tauride, 1764) allèrent bien plus loin dans ces expérimentations par l'utilisation d'ouvertures programmatiques accompagnées de pantomime, des fins tragiques, son insistance sur les aspects tragiques et terrifiants des intrigues, des scènes d'une longueur inusitée faisant appel à des constructions internes plus variées, scandées par les entrées et sorties multiples des personnages et non plus sur des airs de sortie obligée.

En 1766, Verazi travailla pour le théâtre de Luwigsburg, pour le duc Carl-Eugène. Il s'orienta alors de plus en plus vers une refonte de l'esthétique dramatique française (tout en gommant l'aspect surnaturel des livrets français) et de l'opera seria. Son Fetonte, mis en musique par Jommelli en 1768, est un des aboutissements de cette fusion stylistique, considérée par Schubart comme un modèle absolu.

En 1778, Verazi prit sa retraite lorsque la cour de Mannheim partit à Munich et se dirigea vers l'Italie. Il collabora avec Salieri pour le spectacle d'ouverture de la Scala de Milan, L'Europa riconosciuta et avec Mortellari pour Troia distrutta. De manière significative, ces deux livrets sont intitulés par lui-même Drammi in azione. Sa réforme de la structure narrative n'eut pas le succès escompté, et il dût revenir vers des formes plus classiques pour ses deux derniers livrets italiens, Calliroe et Cleopatra. Il s'en retourna en Allemagne sans avoir été compris de ses compatriotes, mais ses efforts incessants ouvrirent la voie à l'accélération de la réforme de l'opéra qui eut lieu dans les années 1780-1790.

 

Portrait de Johann Christian Bach par Th. Gainsborough

Les transformations de Verazi

Mattia Verazi, s'il conserva une bonne partie de la structure du texte de Metastasio, concentra l'intrigue sur le rôle-titre et élagua une bonne partie des intrigues secondaires, celles de la cour de Suse. Le livret fut, ainsi que le précise l'édition imprimée « per ordine di SASE, adattata al presentte bisogno, ed arricchita d'arie, duetti nuovi, et finali d'atti contraseganti con il seguente asterisco * [...] »

La version de Metastase comportait vingt-six arie et un choeur final ; Verazi n'en conserva que dix-huit, et ajouta un duo, un quatuor (intégré dans un finale) et un second finale. Il réécrivit partiellement deux des airs et inséra six nouveaux textes pour les airs.

Il resserra l'action en élaguant considérablement les récitatifs et en les diminuant, donnant ainsi plus de rythme à l'intrigue, et une plus grande fluidité dramatique que le texte souvent boursouflé de Metastasio, en choisissant d'éclairer principalement les protagonistes grecs.

L'intrigue secondaire, la jalousie de Rossane devant Aspasia, et les intrigues de Sebaste sont moins mises en valeur dans sa version. Ainsi, la scène de remords de Sebaste, Cosi dunque tradisci... Aspri rimorsi attroci (III, 8) qui fournit en 1783 à Mozart le texte pour un superbe air de concert, est coupée.

On ne peut dire que ces changements modifient réellement la portée du texte. Il s'agit plutôt d'un regard différent sur une intrigue connue, en changeant la perspective du regard, et en ménageant aux principaux personnages et à leurs interprètes- l'occasion de se placer en position dominante.

Trois scènes disparaissent complètement dans le premier acte : les scènes 11 (Aspasia-Rossane), 13 (Rossane, Sebaste, comprenant un air de Rossane, Sceglie fra mille un core) et 14 (scène et air de Sebaste, Fu troppo audace è vero) La scène 12, modifiée, est transposée en scène 3 du deuxième acte : E spezie di tormento (n°10, air d'Aspasia) est donc décalé. Ces coupures permettaient de porter l'attention sur Temistocle, qui conclut ainsi l'acte, sur la magnifique scène Non m'alletta qual riso fallace (n°7b)

Les deux premières scènes de l'Acte II sont également coupées, supprimant l'entrevue entre Temistocle et son fils et l'air de ce dernier, ainsi que l'entrevue entre Serse et Temistocle (qui perd un air, Ah d'ascoltar già parmi quella guerriera tromba. ) : l'acte débute avec un nouvel air pour Sebaste (n°8, Si scorderà l'amante... .) . La scène suivante entre Serse et Rossane réutilise des parties de la scène 3 originelle et offre un nouvel air di paragone à Serse, Del terreno nel concavo seno (n°9). Verazi récupère pour sa troisième scène des morceaux des scènes 11 et 12 du premier acte, avec la cavatine d'Aspasia E specie di tormento (n°10), qu'il fait suivre scène 5- de la scène finale originelle de l'acte, et de la cavatine de Rossane Ora a 'danni d'un ingrato (n°11b). Ce procédé lui permet de libérer la fin de l'acte pour un finale plus élaboré. La scène 7 de Verazi rejoint la cinquième scène de Metastasio, qu'il transforme pour insérer le duo Aspasia Lisimaco (n°13) Temistocle chante son aria (conservée) en scène 10, Serberò fra ceppi ancora La scène 11 voit le début du finale.

Le troisième acte suit Metastasio au plus près, même si la scène 2 originelle montrant les réflexions de Temistocle resté seul est coupée. Les scènes sont agencées différemment, afin de gratifier Lisimaco d'un deuxième air (n°17, A quei sensi di gloria e d'onore...) Les scènes 3 à 5 restent sensiblement les mêmes (airs de Temistocle, puis de Neocle et d'Aspasia). Les deux suivantes sont par contre refondues, Rossane perdant un air (E dolce vendetta d'un anima offesa...). La scène 8 montrant les remords de Sebaste est supprimée, ce qui est logique, étant donné la moindre importance portée par Verazi à cette intrigue secondaire. Verazi rajoute une petite cavatine pour Temistocle, à la suite de son discours d'adieu. Le finale s'enchaîne tout de suite après.

L'apport le plus important de Verazi, est son remaniement des finales des actes II et III, qui donna l'opportunité à Bach d'écrire une musique innovante, sur une échelle quasiment inégalée pour un opera seria, il n'a rien écrit de plus ambitieux pour ses opéras italiens. Alors que les finales traditionnels s'organisent le plus souvent autour d'un air ou d'un ensemble vocal (un duo ou un choeur rassemblant tous les personnages pour la moralité finale), Verazi utilise des formes plus dynamiques. L'acte II s'inspire tant des finales d'opere buffe que de certaines techniques dramatiques utilisées par Metastasio (comme dans Artaserse) : l'acte se conclut par un quatuor dont deux personnages, Serse et Neocle, abandonnent la scène, laissant Rossane et Aspasia, qui reste finalement seule en scène pour une aria.
A l'acte III, Temistocle s'apprête à boire la coupe de poison et fait ses adieux à son entourage ; les réactions de celui-ci sont traduites par quatre parties structurées par un tempo différent, le dernier traduisant le pardon accordé par Serse, dans la tonalité initiale du finale.
Si le travail du librettiste est somme toute traditionnel pour un auteur habitué à bousculer son public, il est amplement compensé par la splendeur des finales et la variété de l'écriture des airs, taillés sur mesure pour des interprètes d'exception.


Les interprètes créateurs

La distribution de la création était la suivante :

Temistocle : Anton Raaf
Serse : Giovanni Battista Zonca
Lisimaco : Silvio Giorgetti
Aspasia : Dorothea Wendling
Neocle : Francesco Roncaglia
Rossane : Elisabeth Wendling
Sebaste : Vincenzo Mucciolo


Comme tout compositeur du XVIIIe siècle, Johann Christian Bach fit ses airs spécifiquement pour les chanteurs qu'il avait à sa disposition. On peut même avancer qu'il dût se conformer aux goûts et aux possibilités vocales de ses interprètes, ce qui dû poser quelques problèmes, si l'on pense aux demandes particulières de chanteurs comme l'interprète du rôle titre, Anton Raaf.
Tous les chanteurs étaient attachés à la cour.

Giovanni Battista Zonca (Brescia, 1728-1809), basse italienne qui obtint beaucoup de succès en Italie dès 1767 (à Bologne, Trieste, Bergame et Crémone). Il se rendit à Londres en 1761 et 1762, puis fut engagé en 1763 à Mannheim, où il se consacra tant à l'opera seria qu'au buffa. Il y chanta Thoas dans l'Ifigenia in Tauride (1764) de Majo. En 1771 il chanta au Teatro S. Benedetto à Venise et à Milan, puis suivit la cour de Mannheim à Munich, où il se produisit entre autre dans le Telemaco de Grua (1780, rôle de Mopso), le Tancredi d'Holzbauer (1783, rôle d'Argeo) et le Castore e Polluce de Vogler (1787, rôle de Jupiter). Il se retira sur ses terres à Gambara en 1788. Sa dernière apparition scénique fut à Padoue en 1800 dans La bandiera d'ogni vento de Farinelli. Mozart en parla favorablement, dans une lettre datée du 27 décembre 1780, regrettant de ne pas avoir écrit le rôle d'Idomeneo pour lui. Bach lui écrivit le rôle de Cinna dans son Lucio Silla.

Francesco Roncaglia (Faenza, vers 1750 - Bologne, après 1812), castrat soprano, avait été l'élève de Gibelli à Bologne. Il commença sa carrière à Parme, puis vint à Munich comme secondo uomo, entre 1768 et 1771. Son art du chant lui permis de s'élever jusqu'aux premiers rôles à Mannheim entre 1772 et 1776. Par la suite, il se produisit au San Carlo et à Londres. Dès 1802, il fit partie de la chapelle de la cour de Naples et enseigna dans les conservatoires de Naples et de Bologne. Charles Burney qui l'avait entendu en 1778 à Londres dit de lui que

 

« Roncaglia has an elegant face and Figure, a sweet toned voice ; a chaste and well disciplined style of singing ; hazarded nothing and was always in tune. The best part of his voice, which was a soprano, was from D to A, he sometimes went to C, but not easily. Both his voice and shake were feeble and of the three great requisites of a complete stage singer, pathos, grace and execution, which the Italians call cantabile, graziosa, and bravura, he was in perfect possession of only the second. As his voice is merely a voce di camera, his singing in a room, when confined to the graziosa, leaves nothing to wish. He is of the Bologna school, formed by Bernacchi, and reminds his hearers of one of that master's best scholars, Guarducci. » (General History of Music, p 508) [Roncaglia avait un visage et un aspect élégants, une voix douce, un style chaste et discipline, ne risquait rien/ne se hasardait pas et chantait toujours juste. La meilleure partie de sa voix, qui était celle d'un soprano, allait du ré au la, il montait quelquefois au do, mais sans facilité. Aussi bien sa voix que son trille étaient faibles, et des trois nécessités pour un chanteur complet sur la scène, émotion, grâce et facilité d'exécution, que les italiens appellent cantabile, graziosa et bravura, il n'était en pleine possession que du second. Comme sa voix était seulement une voce di camera, lorsqu'il chantait en chambre et quand il se bornait au graziosa, cette dernière ne laissait rien à désirer. Il est de l'école de Bologne, formé par Bernacchi et rappelle un des meilleurs élèves de ce maître, Guarducci.]

 

Bach lui écrivit le rôle de Cecilio dans son Lucio Silla.

Le castrat alto Vincenzo Mucciolo faisait, lui aussi, ses débuts à Mannheim.

Le ténor Silvio (di Osimo) Giorgetti était au service de l'Electeur depuis 1766 ; il y resta jusqu'en 1776, après quoi on perd sa trace. Il était passé par Rome (1752), Fabriano (1757), Perugia (1761), Rome (1762) puis Macerata (1765). Burney l'entendit en août 1772 dans La Contadina in corte de Sacchini et trouva que « his voice was but feeble, nor were his abilities very considerable in other particulars. » [«il avait la voix faible et sans rien de considérable en ce qui regarde les autres talents"]

Trois des principaux rôles furent tenus par des chanteurs qui sont passés à la postérité pour leurs relations professionnelles et amicales avec Mozart.

Les deux cantatrices qui portent le nom de Wendling faisaient partie d'une famille liée de près à la cour de Mannheim.

 

 

Dorothea Wendling (miniature anonyme)

 

Dorothea Wendling (Stuttgart, 1736-Munich, 1811), qui tint dix ans plus tard le rôle d'Ilia dans l'Idomeneo de Mozart, était l'épouse du flûtiste Johann Baptist Wendling, qu'elle avait épousé en 1752, l'année de son engagement comme soprano à la cour de Mannheim. Le poète Christoph Martin Wieland écrivit à son sujet en 1777, dans une lettre à Sophie La Roche, que « sa manière de chanter surpasse tout ce que j'ai déjà entendu, même la fameuse Gertrude Mara. Cela seul est le chant véritable, le langage de l'âme et du coeur. », et « [elle associe] à une figure très intéressante la plus belle voix, l'art de chanter dans tous les genres en perfection, et l'action au théâtre la plus complette [sic] » Par contre Schubart lui reproche son vibrato. Elle suivit la cour à Munich, où elle donna par la suite des leçons de chant. Parmi ses élèves, sa fille Elisabeth Augusta (dite «Gustl »), sa nièce Dorothea et des chanteuses comme Marianne Crux, Katharina Lang, Elisabeth Caroli et Josepha Beck. Elle fut considérée comme l'une des cantatrices les plus expressives de son temps, et la «Melpomène allemande de l'âge d'or de Mannheim » (Heinse). Bach écrivit également pour elle le rôle de Celia dans son Lucio Silla (1775). Mozart lui dédia la scène Basta, vincesti.. Ah, non lasciarmi, no (K. 486a /295a) en 1778. Bach lui écrivit quelques vocalises dans Temistocle, en particulier dans l'aria E specie di tormento (II, 3).

 

 

Elisabeth Augusta Wendling (sans doute «Gustl »)

 

Il y a souvent une confusion entre les deux Elisabeth Augusta Wendling.
L'une était la fille de Johann Baptist et Dorothea et l'autre Elisabeth Augusta (Mannheim, 1746 - Munich, 1786), née Sarselli et surnommée «Lisl », était la tante par alliance de la première, ayant épousé le violoniste Franz Anton Wendling, membre de l'orchestre de Mannheim depuis 1755. Elle chantait généralement les rôles de seconda donna face à sa belle soeur. Fille de deux chanteurs italiens en poste à Mannheim, elle fit ses débuts en 1762 dans la Sofonisba de Traetta (rôle de Cirene). Elle accompagna par la suite la cour à Munich, où elle interpréta également des rôles de premier plan, dont celui d'Elettra pour l'Idomeneo de Mozart.

Elisabeth Augusta Wendling «Gustl » (Mannheim 1752-Munich 1794) fit ses débuts scéniques dans la même Sofonisba que sa tante, dans un rôle muet. Elle prit des leçons de chant avec sa mère et se produisit dès 1769 dans La Buona Figliuliola de Piccini. Elle se produisit également à Zweibrücken. Ravissante selon les dires de ses contemporains, elle était également bonne pianiste (comme en témoigne une lettre de Mozart datée du 8 novembre 1777). Ce dernier lui écrivit deux ariettes Oiseaux, si tous les ans (K. 307/284d) et Dans un bois solitaire (K. 308/295b) Elle se produisit un temps à Vienne en 1782-1783 et revint triomphalement à Munich dans le Romeo und Juliet de Benda (1784). Elle se produisit par la suite avec sa mère dans les Concerts de Mrs les Amateurs à Mannheim.
En 1772 ou un peu avant, elle devint une des maîtresses de l'Electeur. Johann Christian Bach lui fit probablement une demande en mariage cette même année. Le refus qu'il essuya est sans doute une des raisons qui le poussa à écourter son séjour à la cour, et sans doute, à renoncer à la perspective de la succession d'Holzbauer, comme compositeur attaché à la cour et maître de chapelle. Par la suite, Elisabeth Augusta devint la maîtresse du comte Seeau, le Hofmusikintendant en charge de la musique depuis 1753. Ces deux liaisons de la jeune femme furent abondamment commentées dans la correspondance familiale des Mozart.
Les antécédents professionnels des deux homonymes laissent penser qu'elles ont pu aussi bien l'une que l'autre, endosser le rôle de Roxane, mais les liens amicaux de Bach avec les Wendling, ainsi que ceux existant entre le souverain et la cantatrice, font pencher vers le choix de «Gustl ». Une Elisabeth Wendling, probablement la même, créa la Celia du Lucio Silla de Bach.

Anton Raaf (Gelsdorf, 1714 - Munich, 1797) fut le meilleur ténor de sa génération, un des rares interprètes de cette tessiture dont la renommée fut égale à celle d'un castrat. Très admiré pour sa technique vocale, il était néanmoins un acteur médiocre, ce dont ce font l'écho des admirateurs aussi éloignés que Metastasio et Mozart, à des moments très différents de sa carrière. Il étudia avec Giovanni Ferrandini à Munich avant de poursuivre sa formation avec Antonio Bernacchi à Bologne. Sa carrière internationale prit son essor en 1739 à Bologne, et le fit chanter un peu partout en Italie (Padoue, Turin, Venise, Livourne) ainsi qu'à Bonn, Vienne, Lisbonne, Madrid (où il fit partie de la troupe rassemblée par Farinelli entre 1755 et 1759). Par demande royale, il se fixe ensuite principalement à Naples entre 1760 et 1768. En 1770, il est appelé à Mannheim par l'électeur Carl-Theodor ; il reste attaché à sa cour, le suit à Munich, et ne fera que quelques incursions extérieures, comme pour le Fetonte à Stuttgart en 1768 ; et quelques concerts parisiens au Concert Spirituel en avril 1778, où il interprète une scène de Bach, Non sò donde viene (L'Olimpiade) Le Journal de Paris rapporte que «l'ivresse devint générale, et on fit recommencer le premier morceau. Il [Raaff] réunit les qualités qui semblent s'exclure, la noblesse, la loyauté et l'expression. » (15 avril 1778)
Le dernier rôle qu'il crée semble être le rôle-titre de l'Idomeneo de Mozart le 29 janvier 1781 à Munich.

Les différents avis portés sur l'art d'Anton Raaf permettent de se faire une idée assez précise de ses points forts et de ses faiblesses. Son parcours professionnel souligne sa grande virtuosité et l'attention qu'il porte au legato, ce qui explique le jugement enthousiaste de Tartini qui portait aux nues son stile cantabile.
Une lettre de Raaf au Padre Martini datée du 9 février 1768, et relatant son enseignement confirme ce jugement :

 

« [..]gli predicaro [...] d'applicarsi al portamento che in quello consiste essenzialmente il bel cantare ; perchè una volta acquistato quello, ogni ornamento riuscira bene, e senza quello, tutto era sciapito e non concludera nulla, che stesse sopra tutto attento all' Intonazione, che se mettesse a parlare sempre buon' Italiano con me e con tutti [...] » [Je lui ai intimé de s'appliquer au portamento, qui forme la base du beau chant ; que ce dernier une fois acquis, tous les autres suivront aisément, et que sans cela, tout sera fade et ne réussira pas ; de prêter la plus grande attention à l'intonation ; de parler toujours un bon italien tout le temps, que ce soit avec moi ou avec d'autres.]

 

Ce portamento est celui défini par Mancini, « Per questo portamento non s'intende altro, che un passare, legando la voce, da una nota all' altra con perfetta proporzione » (Pensieri e reflessioni sopra il canto figurato, Vienne 1774) [Par portamento, on n'entend rien d'autre qu'un passage, liant la voix d'une note à l'autre avec une mesure parfaite ]
Il semble avoir eu une tessiture assez longue, tous les témoignages s'accordant sur sa grande virtuosité. Schubart écrit qu' « il peut monter jusque dans le haut registre d'alto ; tout aussi facilement, il descend dans celui de basse. Toutes ses notes sont rondes et pures. Il a un don exceptionnel pour déchiffrer à vue, et il peut orner un air de diverses manières avec un art indescriptible. Personne ne peut égaler ses ornements et ses cadences, ou son goût musical. »
Il faudrait également citer en entier une lettre de Mozart datée du 12 juin 1777, qui analyse en détail l'art du ténor :

 

« [...] Vous vous rappellerez sans doute que je ne vous en ai pas écrit grand bien de Mannheim, que je n'étais pas satisfait de son chant, enfin qu'il ne me plaisait pas du tout. Mais cela venait en fait qu je ne l'avais pas entendu du tout. La première fois que je l'ai écouté, c'était à la répétition du Gunther d'Holzbauer. Il était en vêtements de ville [...] Lorsqu'il ne chantait pas, il restait planté là [...]. Il chanta ensuite les airs avec une certaine nonchalance, et certains tons, très souvent, avec trop d'emphase- ce n'était pas non plus mon affaire. C'est une habitude qu'il a toujours eue, et qui vient peut-être de l'école de Bernacchi. [...] Ici, enfin, lorsqu'il a débuté au Concert Spirituel , il a chanté la scène de Bach, Non sò donde viene, qui est par ailleurs mon morceau favori, et c'est la première fois que je l'ai vraiment entendu chanter. Il m'a plu, je veux dire, pour sa manière de chanter, - mais la manière elle même,- l'école de Bernacchi n'est pas de mon goût. Il fait (à mon sens) trop de Cantabile. Je conviens que cela devait faire son effet quand il était plus jeune et dans la fleur de l'âge [...] mais c'est exagéré et me semble souvent ridicule. Ce que j'aime chez lui, c'est lorsqu'il chante de petits morceaux, comme certains andantino ou encore certains airs, car il a sa manière propre. [...] J'imagine ce qui était sa force, la Bravura qu'on continue à sentir chez lui, autant que son âge lui permette ; une bonne poitrine et un long souffle, et puis cet Andantino. Sa voix est belle et très agréable. [ longue comparaison avec l'art de Meissner] En revanche, pour ce qui est de la bravura, des Passages et Roulades, là, Raaff est le maître, - et puis, sa bonne prononciation, très claire-, c'est beau. [...]» (traduction de Geneviève Geffray)

portrait

Anton Raaf

 

L'interprète semble considérer l'opéra comme une suite d'airs destinés à faire valoir son art du chant et non comme un tout dramatique. Cette attitude se reflète dans sa maladresse scénique qui est proverbiale. Il est attaché à une forme stéréotypée qui permet de déployer son art du cantabile, de faire « spianar la voce » comme Raaf le demande à Mozart, ou de montrer son agilité vocale dans de nombreuses vocalises. Afin de lui faciliter la tâche, Bach lui a souvent écrit des airs avec une section centrale en 3/8, avec des reprises. Raaf reste en effet attaché à cette forme qu'il pourra ainsi varier selon les principes qu'il a appris.
La place destinée aux airs de bravoure de Raaf est également cohérente avec son statut : il intervient soit en fin d'acte, soit avant le choeur final qui clôt l'opéra.

Il est intéressant de noter que Raaf avait déjà interprété un air tiré du livret de Temistocle, Ah frenate il pianto imbelle (III, 3), mis en musique par Domenico Alberti, et inséré dans l'Attilio Regolo de Jommelli à Naples en 1761. Si l'on se souvient des problèmes de mémoire de Raaf (que Mozart mentionne également dans sa correspondance, au sujet de sa mise en musique de l'air de concert Non sò donde viene, K 294) on peut se demander si cette insertion n'a pas favorisé son apprentissage du texte. Verazi mentionne la lenteur de Raaf pour apprendre un air d'opéra : « Cet homme habitué depuis sa jeunesse d'avoir six mois devant lui pour apprendre un seul rôle, aux cours d'Espagne et de Portugal, a été effrayé quand je lui en ai proposé deux pour le 11 février. Il doute de ses forces, il se méfie de sa mémoire et il ne peut se résoudre à s'exposer au risque de trahir sa grande réputation. »

Raaff semble s'être produit jusqu'en 1787, bien qu'il ne semble plus avoir fait de scène après les premières années de cette décennie. Il avait pris des élèves, parmi lesquels Ludwig Fischer (le premier Osmin, et sans doute la plus grande basse allemande du siècle) et Franz Christian Hartig. Il se retira à Munich, où en février 1787, le ténor Michael Kelly rendit visite au vieil interprète. Voici ce que dit Kelly de leur rencontre :

 

« Les Storace et moi-même, par rendez-vous préalable, allâmes présenter nos hommages à Raff, le ténor justement célèbre, considéré de loin comme le plus grand chanteur de son temps, et qui avait fait pendant longtemps les délices de Naples et de Palerme. Il était bavarois de naissance, et avait pris sa retraite à Munich avec une large fortune ; il avait plus de soixante-dix ans, et nous fit la faveur de nous chanter Non sò donde viene ; bien que sa voix fut embarrassée, il gardait encore sa merveilleuse voce di petto et ses notes soutenues, et son style très pur. »

 

La musique

Des dix opéras italiens écrits par Bach, Temistocle est le plus somptueux orchestralement et vocalement, avec un orchestre d'une richesse typiquement mannheimienne : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 clarinetti d'amore, timbales et cordes.
Bach trouve un pupitre de vents fournis, ce qui explique la richesse des couleurs de son instrumentation. L'orchestre de Mannheim était réputé pour ses qualités, mais Burney laisse une appréciation mitigée, après un concert donné à Schwetzingen :

 

« Je remarquai toutefois dans cette étonnante réunion de talents un défaut qu'elle partage d'ailleurs avec tous les autres orchestres que j'ai entendus jusqu'ici, mais que j'espérais ne pas retrouver chez des musiciens aussi attentifs et d'un si grand mérite: ce défaut est le manque de justesse dans les instruments à vent. Je sais qu'il est dans leur nature de détonner, mais il serait souhaitable que ces grands exécutants, qui se sont si bien attachés à vaincre des difficultés d'un autre ordre, s'appliquent de même à faire disparaître cette imperfection qui, comme une levure, aigrit et empoisonne toute l'harmonie. C'était clairement le cas ce soir avec les bassons et les hautbois, qui étaient trop hauts dès le début et qui ne cessèrent de monter jusqu'à la fin de l'opéra.
Mes oreilles furent incapables de percevoir quelque autre défaut de l'orchestre durant toute cette représentation; en outre, le manque de justesse est si commun que ma critique ne saurait être exagérément sévère sur ce point, ni donner le moindre motif de contentement à tout autre orchestre d'Europe. » (Dr Burney's Musical Tours in Europe, traduction de Michel Noiray)

 

Dès 1761, Bach, comme Jommelli, transforme peu à peu son instrumentation et laisse une place plus importante aux vents. Il multiplie les airs écrits avec accompagnement de flûte obligée et met en valeur l'instrument avec des tempos lents.
Le grand air de bravoure en si bémol de Temistocle, Non m'alletta quel riso fallace (n°7b), qui conclut l'acte I est une espèce de double concerto pour ténor, basson et orchestre qui dure environ douze minutes. L'air en ut de Rossane, Or a'danni d'un ingrato (II, 5, n°11b) est un air concertant avec hautbois obligé.
La clarinette d'amour, instrument rare, possédait « un pavillon en forme de poire, qui rappelle le haubois d'amour. La clarinette peut sonner en sol, lab et fa. » (Laurine Quétin) est utilisée par Bach par deux fois : dans Temistocle, en particulier dans l'Andante de l'ouverture et dans la partie centrale de l'air d'Aspasia (n°20b, Ah si resta), où les instruments dialoguent avec la voix... L'instrument sera réutilisé dans Lucio Silla, avant de tomber apparemment en désuétude. Au Bayerisches Nationalmuseum, il existe un exemplaire de cet instrument en ré, sorti de l'atelier des facteurs Eisenmengers, originaires de Mannheim. Il s'agit probablement d'un des instruments pour lesquels Bach a écrit, et qui fit le voyage à Munich lorsque la cour et l'orchestre déménagèrent.

L'ouverture est en trois mouvements (vif-lent-vif), dont deux (Allegro di molto initial et Presto final) tirés de celle de Carattaco, créé à Londres le 14 février 1767. Bach ne semble avoir réutilisé que ces parties, en réorchestrant ces passages, car dans Carattaco ne figurent ni trompettes ni timbales.

Si Bach soigne son instrumentation, on peut être surpris d'un relatif conformisme dans la forme de ses airs. Il associe dans tous ses ouvrages lyriques les formes anciennes et innovantes. Cette apparente fidélité aux formes anciennes, qui s'explique sans doute par les demandes de Raaf et la nécessité de mettre en valeur l'orchestre par des arie concertantes, est tempérée par quelques disjonctions.

Suivant une autre forme traditionnelle, treize airs sur dix-sept sont de forme dal segno. Cette forme remplace graduellement dans l'écriture européenne d'opéra la forme antérieure de l'aria da capo en cinq parties, transformant progressivement cette dernière par une reprise abrégée de la première section de l'air, ou la substituant en une cavatine en deux sections, transitions vers des formes plus audacieuses.
Ces airs dal segno se bornent souvent à une reprise d'une partie des vers de la première partie avant de passer à la seconde (Non m'alletta quel riso fallace )

Bach fait souvent entrer la voix directement, sans utiliser de ritournelle instrumentale étendue, comme pour le premier air de Neocle, Ch'io speri ? (n°1), ou l'air d'entrée de Lisimaco, Ch'io parta ? (n°5), sans doute un reflet de l'agitation du personnage, dont la voix entre dans les premières mesures. Plus radicaux, les n°12 (air de Neocle, No, quel labbro...) et n°20b (air d'Aspasia, Ah si resta) où la voix entre directement avec l'orchestre. Par contraste, les ritournelles lorsqu'elles existent, sont particulièrement soignées, notamment pour les airs concertants. Ces ritournelles peuvent aussi annoncer le thème de l'air qui suit, comme pour le Tu, della mia fede de Temistocle (récitatif n°21a) qui annonce le finale. Cette technique avait été utilisée par Bach dans certains de ses opéras antérieurs comme Catone in Utica et Carattaco.

Seuls cinq airs et uniquement trois des récitatifs accompagnés (sur les cinq) se contentent d'un accompagnement de cordes. Ces récitatifs sont placés devant les airs les plus importants, sauf celui qui conduit au dernier finale.

Les récitatifs secs ont été écrits en collant au plus près de la forme dramatique du texte. Pour exemples, les modulations de la basse dans la scène 3 du premier acte lorsque Temistocle et Aspasia se reconnaissent, ou les supplications qu'Aspasia adresse à Serse, afin qu'il lui rende son père (II, 11).

La grande innovation, qui dut sembler inouïe aux contemporains, est l'écriture des deux derniers finales. Ils sont d'une grande complexité, et ménagent entrées et sorties des personnages de manière très fluide et théâtrale. Celui du deuxième acte (qui commence par Quel silenzio, quel sospiro) en mi bémol majeur compte sept sections. Les flûtes et les cors dialoguent pendant la première partie du finale ; ces derniers laissant ensuite la place aux autres vents.
Dans celui du dernier acte, (Ah ! ferma, ah ! padre amato en ré majeur), qui compte six sections, Bach a alterné flûtes et hautbois.

Concession à la forme seria à l'ancienne, le choeur intervient peu, bien moins que pour Orione (1763) et Carattaco ; son intervention est similaire à celle que l'on trouve dans les opere serie traditionnels, en tant que choeur final, la Licenza écrite par Metastasio n'ayant pas été conservée.

Georg Joseph Vogler, dans sa Betrachtungen der Mannheimer Tonschule (tome 1, 1778), fait une allusion indirecte à Temistocle, en commentant une cantate de Bach, La Tempesta : « Johann Christian Bach, l'un des plus grands compositeur allemand ; un homme dont l'Allemagne est fière. [suit une description des mouvements de la cantate]
Le texte est l'une des plus merveilleuses inspirations de Metastasio. Herr Bach l'a choisie afin de démontrer la puissance de la musique, afin de montrer comme la musique peut décrire avec éloquence les émotions les plus contrastées : l'effroi et le calme, la peur et l'espoir, mais aussi l'amour et la tendresse.
Ses deux opéras, Catone in Utica et Alessandro nell'Indie, ont été reçues par une approbation unanime au San Carlo de Naples. Son écriture, toujours enchanteresse, est plus simple et contient moins de note que les ouvrages écrits dans le style napolitain exacerbé. Aucun auditeur sensible ne peut manquer d'être touché par son cantabile tendre et insinuant. Il y a des passages qui sont audacieux et érudits, dans la manière allemande, mais Bach les emploie avec modération et à propos, afin de créer un contraste avec les passages plus tendres.
Ce grand compositeur a écrit dans tous les genres. On a du mal à penser que quiconque ait pu écrire avec tant de facilité et de succès dans des catégories aussi variées. Ses nombreuses sonates, trios, quatuors, quintettes, concertos, symphonies, arias, cantates, sérénades, oratorios et opéras témoignent des pouvoirs d'invention de Bach ; ils sont pleins de feu et d'imagination. [...] On peut s'émerveiller de la caractérisation attendrissante du testament de Catone, ou dans la scène montrant le désespoir de la fille de Temistocle, ou dans l'amour de Cleofide et Poro [dans Alessandro] [...] »

Malgré sa popularité et la splendeur de sa musique, l'oeuvre dut attendre 1965 pour être reprise au concert et sur scène, dans une version d'Edward O. Downes et H. C. Robbins Landon. Cet arrangement ne gardait que peu de musique de l'original, des insertions et arrangements provenant d' Amadis de Gaule, Adriano in Siria, Catone in Utica, Artaserse et Orione étant substitués aux originaux. Sans doute en raison de sa difficulté extrême et de la virtuosité demandée aux chanteurs.
Une version scénique sur instruments modernes, apparemment très réduite, a été donnée en juillet 1999, au Berliner Kammeroper dans la distribution suivante : Serse : Jonathan de la Paz Zaens ; Temistocle : Samuel Cook ; Lisimaco : Clemens Löschmann ; Aspasia : Julia Rempe ; Neocle : Haig Hartmann ; Rossane : Kim Gadewoltz ; Sebaste : Volker Maria Rabe. Choeur et orchestre du Berliner Kammeroper sous la direction de Harry Spence Lyth.

Il aura fallu attendre cette version proposée par Christophe Rousset et les Talens lyriques pour que renaisse cette oeuvre de transition, qui montre la voie aux innovations stylistiques de Gluck, Salieri et Mozart, tout en gardant fermement ses racines dans l'archétype métastasien.

 

 

Rickard Soederberg et Cecilia Nanneson - générale de Temistocle à l'Opéra de Leipzig
27 avril 2005, photographie AP Photo/Eckehard Schulz

 

Le livret de Verazi est en ligne sur le site ODB : pour accéder à la page de téléchargement cliquez ici

 


 

Bibliographie utilisée

 

BURNEY, Charles. The Present State of Music in Germany, the Netherlands, and the United Provinces. (Edition française : Voyage musical dans l'Europe des Lumières. Traduit, présenté et annoté par Michel Noiray. Paris ; Flammarion (Harmoniques), 1992.)

BURNEY, Charles. A General History of Music From the Earliest Ages to the Present Period. Volume IV. Londres, 1789

FEIST, Romain. L'Ecole de Mannheim ou l'Athènes musicale des pays germaniques. Genève : Editions Papillon, 2002.

GÄRTNER, Heinz. John Christian Bach, Mozart's Friend and Mentor. Portland : Amadeus Press, 1994 [traduction de Johann Christian Bach Mozarts Freund und Lehrmeister. Munich : Nymphenburger, 1989 ]

QUETIN, Laurine. L'opera seria de Johann Christian Bach à Mozart. Genève : Editions Minkoff, 2003.

MCCLYMONDS, Marita. «Mattia Verazi and the Opera at Mannheim, Stuttgart and Ludwigsburg » in Studies in Music for the University of Western Ontario, VII/2 (1982), pp. 99-136.

MCCLYMONDS, Marita. «Transforming opera seria: Verazi's Innovations and their Impact on Opera in Italy», in Opera and the Enlightenment, ed. T. Bauman and M.P. McClymonds (Cambridge, 1995), pp. 119-32

MOZART, Famille. Correspondance 1777-1778. Edition française et traduction par Geneviève GEFFRAY. Flammarion : Harmoniques, 1987.

New Grove Dictionary of Music and Musicians.

PETROBELLI, PierLuigi «The Italian Years of Anton Raaf. » in Mozart Jahrbuch (1973-1794), pp.233-273.

RYER, Pierre du Thémistocle, tragédie. Paris : A. de Sommaville, 1648

SALA DI FELICE, Elena. Metastasio : ideologia, drammaturgia, spettacolo. Milan : F. Angeli, 1983.

TRAPASSI, Pietro : Poesie del signor abate Pietro Metastasio. Paris, presso la vedova Quillau, 1755. (Tome IV : Temistocle, , pp.301-403 )  

VIGNAL, Marc. Les fils Bach. Paris : Fayard, 1997.

WARBURTON, Ernest. Temistocle: Opera Seria in Three Acts, Libretto by Metastasio With Alterations and Additions by Mattia Verazi. Garland Pub; 1988 (Introduction, pp. VII-X )

 


 

Discographie disponible

 

BACH, Johann Christian : Temistocle
Serse/Renato Cesari ; Temistocle/Herbert Handt ; Aspasia/ Kate Gamberucci ; Neocle/Dora Carral ; Rossane/Cecilia Fusco; Sebaste/Andrea Snarski; trois enfants : Gabriella Fabiano Marina Mauro et Fabrizio Rondoni
RAI, A Scarlatti Orchestra of Naples
Coro da Camera RAI
Vladimir DELMAN
Sans date [1981 ?]
33t VOCE n° 35

 

Metodie Bujor et Raffaella Milanesi - générale de Temistocle à l'Opéra de Leipzig
27 avril 2005, photographie AP Photo/Eckehard Schulz

Recréation scénique sur "instruments d'époque"

Opéra de Leipzig : 30 avril, 4 et 7 mai 2005.
Théâtre du Capitole, Toulouse : 22, 24 et 26 juin 2005.


Temistocle - Rickard Söderberg, ténor
Aspasia - Ainhoa Garmendia, soprano
Rossane - Marika Schönberg, soprano
Neocle - Cecilia Nanneson, soprano
Lisimaco - Raffaela Milanesi, soprano
Serse - Metodie Bujor, basse
Sebaste - René Troilus, alto

Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction et clavecin


Mise en scène : Francisco Negrin
Décors : Rifail Ajdarpasic et Ariane Isabell Unfried
Costumes : Louis Désiré



Le compte-rendu des représentations de Temistocle à Toulouse, dirigées par Christophe Rousset, a fait l'objet d'un fil de discussion dans le forum d'ODB : pour y accéder directement, cliquez ici.

 

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