Vivica Genaux, de Loewe à Löwe...

Index de l'article

 

En passant par Haendel, Rossini, Hasse et tant d'autres...

 

 

Photographie © Harry Heleotis.

 

Le grand public, y compris en France, commence à bien connaître Vivica Genaux, une mezzo-soprano « venue du froid » : un documentaire télévisé a été consacré à cette chanteuse née en Alaska. Sa pratique de la musique a commencé par l'étude du piano et du violon. La situation géographique de l'Alaska pendant la guerre froide finissante en a fait une étape aérienne obligée des artistes en tournée. Vivica Genaux a ainsi pu entendre et voir, dans sa ville natale de Fairbanks, aussi bien la compagnie de danse Martha Graham que le flûtiste Jean-Pierre Rampal, le Ballet Folklorique de Mexico, l'Empire Brass, le Modern Jazz Quartet ou encore Cab Calloway.
Après un commencement d'études de biologie, elle étudie le chant dans l'Indiana. Ses professeurs ne sont alors rien moins que Nicola Rossi-Lemeni, Virginia Zeani, puis, en Italie, Claudia Pinza, la fille de la célèbre basse italienne Ezio Pinza. Nous l'avons retrouvée non loin de chez elle, en Vénétie, au tout début de cette année.

 

Connaissez-vous notre site, http://odb-opera.com ?
Non, car je lis très peu de choses sur l'opéra. Pour moi, c'est un peu comme si un médecin regardait les émissions médicales à la télévision !

Vous n'avez d'ailleurs pas commencé par l'opéra mais par la comédie musicale, en débutant dans My Fair Lady, de Loewe. Vous aviez treize ans, c'était à Fairbanks. C'est un répertoire où la tessiture n'est pas un problème essentiel.
Non, car on transpose souvent, dans la comédie musicale. A l'université d'Indiana, j'ai aussi chanté Hello Dolly mais je pense être la seule au monde à l'avoir chanté comme c'est écrit, c'est-à-dire très haut dans l'aigu, ce qui était très inconfortable, au point que d'habitude on le transpose plus bas d'une octave.

Vous étiez en effet soprano, à l'époque. Vous êtes ensuite devenue mezzo-soprano. Comment cela s'est-il passé ?
C'est arrivé, heureusement, avant que je ne commence à chanter professionnellement, car j'imagine que ce doit être un drame quand cela arrive à une chanteuse qui a déjà commencé sa carrière et qui doit tout reprendre depuis le début. Quand on est jeune et qu'on commence à passer des auditions, il y a toujours quelqu'un pour dire : « non, tu es soprano dramatique » ou : « non, tu es ténor. » Tous veulent mettre des étiquettes, il faut faire attention ! Je n'ai jamais demandé à personne ce qu'il fallait penser de ma voix, si j'étais mezzo ou soprano. Ce sont mes professeurs et les personnes en lesquelles j'ai confiance qui m'ont suggéré que ma voix comme ma personnalité étaient plus adaptées au répertoire de mezzo-soprano et j'y ai réfléchi très longtemps avant de prendre une décision.

Votre voix était aussi sombre alors qu'aujourd'hui ?
Non, elle n'était pas aussi sombre, mais j'utilisais beaucoup ma voix de poitrine. j'ai commencé à étudier à treize ans, avec Dorothy Dow, une chanteuse américaine qui s'était notamment produite à la Scala. Elle m'a toujours fait travailler des vocalises qui employaient la voix de poitrine. A l'université, personne n'utilisait cette voix, tout le monde travaillait en voix de tête. Mais, que l'on soit soprano ou mezzo, je pense qu'on doit utiliser la voix de poitrine comme une partie normale de la voix. Il faut recourir à ces couleurs car les compositeurs ont écrit ces notes-là : il faut bien les chanter ! Quant à l'agilité, je l'ai toujours eue.
Quand j'étudiais avec Virginia Zeani, elle me demandait toujours « Comment te sens-tu ? Comme une soprano ou comme une mezzo ? » Et moi, à dix-neuf ans, je ne savais rien de l'opéra, je n'en avais jamais vu un seul ! Ma première professeur m'avait dit qu'il n'y a jamais de choix à faire :« Soit on est soprano, soit on ne l'est pas et toi, tu es soprano. » j'ai commencé comme ça. Mais une fois diplômée, au cours d'une leçon avec Virginia Zeani où je chantais « Come Scoglio » en faisant bien sonner les graves, elle m'a dit : « Si tu veux chanter comme ça, il faut devenir mezzo-soprano ! les sopranos ne chantent pas de cette façon. »
Alors, j'ai eu une sorte de crise, car, mes études finies, je ne voulais pas rester à étudier pendant neuf ou onze ans comme d'autres élèves. j'ai réfléchi et je me suis dit que, quand je jouais du violon, je préférais toujours être parmi les seconds violons et que mon rêve était de jouer de l'alto. Quand je chantais dans un choeur, j'avais envie de chanter les parties les plus basses. j'ai donc accepté d'étudier comme mezzo-soprano et je me suis rendu compte que les rôles étaient plus adaptés à mon tempérament, qu'ils étaient plus « méchants » [en français dans le texte] !(rires) Je ne suis pas comme ces rôles de sopranos à l'âme torturée, qui finissent invariablement par mourir ! Cela dit, je n'ai pas une voix très grande, elle est assez concentrée, légère dans l'aigu à la manière d'un soprano, sous certains aspects.

N'est-ce pas un problème pour chanter « Qual guerriero in campo armato » de Riccardo Broschi ?
Je ne le chante de toutes façons pas comme l'aurait chanté Farinelli, certainement pas ! Nous ne saurons jamais comment un castrat chantait cet air, à moins qu'un accident malheureux ne survienne à un jeune chanteur prometteur ! (rires)
C'est comme quand, aujourd'hui, Madonna utilise une chanson de ABBA pour la mettre à son répertoire en la transformant : ce n'est pas la même chanson, c'est la re-proposition et la transformation d'une pièce qui a été un grand succès. Je ne vois pas pourquoi cette pièce ne pourrait plus être chantée par personne ! Je ne dis certainement pas que je chante comme Farinelli, mais je trouve dommage que cette musique ne puisse pas être chantée sous prétexte qu'il n'y a plus de castrats. Je voudrais toutefois ajouter que René Jacobs m'a dit qu'il m'avait invitée à faire ce disque parce que, selon lui, j'avais les couleurs vocales appropriées pour me confronter au répertoire des castrats. De ce qu'on sait des récits de ceux qui ont entendu de leurs propres oreilles les castrats, leurs voix était plus légères, plus « sopraniennes » dans les aigus, avec une couleur plus ronde, plus solide dans les notes basses. Parce que ma voix présente des couleurs un peu différentes dans les aigus et dans les notes basses, René l'a considérée comme très appropriée à cette musique.

Votre changement de tessiture a été un moment difficile?
Ça a duré trois jours, sans dormir, sans manger. j'habitais quasiment à la bibliothèque : j'ai fait une énorme recherche sur les rôles de cette tessiture. Face aux décisions, j'ai toujours été comme ça : le plus dur, c'est de les prendre mais une fois prises, je vais jusqu'au bout.

 

 

Rosina, dans Il Barbiere di Siviglia, Wiener Staatsoper, mars 2003.
Photographie : Wiener Staatsoper GmbH-© Axel Zeininger

 

Il y a des gens qui vous considèrent encore comme une soprano avec des graves
Oui, mais on peut dire la même chose de Larmore, de von Stade, de Norman. l'important est de chanter la musique qu'on sait chanter. Regardez Victoria de los Angeles ou Jessye Norman : elles ont toujours fait comme ça et elles ont raison.

Vous sentez-vous donc une chanteuse avant d'être une mezzo ?
Non, je me sens mezzo-soprano parce que, par exemple, je ne me sens pas très à l'aise dans les rôles mozartiens, écrits selon moi pour des seconds sopranos et non pour des mezzos : Zerlina, Dorabella, Cherubino. Je me sens toujours mieux dans les rôles où la tessiture reste un peu plus basse. Bien sûr, je monte dans l'aigu sans problème mais si je dois y rester longtemps, ça ne va pas. Je ne me sens pas vraiment soprano. c'est aussi pour ça que je me sens bien dans la musique baroque : d'ordinaire la tessiture est très semblable à ma tessiture naturelle. c'est un sentiment physique ! c'est comme conduire une voiture avec une boîte de vitesse manuelle. Quand je suis dans l'aigu, je sens que ça « tire ». Quand je redescends, j'ai un peu de jeu, je me sens bien. Je peux aller de bas en haut, puis de haut en bas, mais sans rester dans l'aigu. Ces allers-retours sont très faciles pour moi. j'ai toujours travaillé avec ma professeur pour unir la voix.

Par quel type d'exercices ?
Beaucoup de gammes. Des vocalises en roulades, rapides. Des choses très normales, en fait. Des exercices qui vont de l'aigu vers les notes intermédiaires, puis un peu dans les graves, puis un autre exercice qui tire du grave vers l'aigu, enfin un qui va du plus grave au plus aigu.

Sur notre forum, à l'occasion de votre Isabella au Palais Garnier (l'italiana in Algeri), certains disaient que vous aviez une trop faible projection, d'autres qu'elle était tout à fait convenable. Pensez-vous avoir une voix suffisamment puissante ?
Ce n'est pas une grosse voix, mais je maintiens que la technique que j'ai apprise y supplée. On l'entend mais ce n'est pas une voix puissante, comme celle de Vesselina Kasarova, par exemple

Est-ce que ça vous empêche de chanter dans certaines grandes salles ?
J'essaie de toujours chanter de la même façon dans tous les théâtres mais certaines oeuvres n'ont pas été écrites pour de grandes salles comme le Met. Aux Etats-Unis, nous n'avons malheureusement pas de petits théâtres avec une acoustique similaire à celle de la salle où la pièce a été créée. Non, ces choses ne m'ont jamais posé de problème.
Je chante parce que j'aime chanter, pas parce que je veux chanter dans des salles fameuses au public nombreux. Je suis contente d'avoir eu un certain succès et d'en avoir encore. j'ai chanté récemment à l'opéra de San Francisco, qui est gigantesque, et j'ai eu un grand succès ! Ma voix est ma voix ; en la forçant, je n'obtiens rien de bon. La taille de ma voix n'est pas une chose qui me préoccupe. Je ne peux que chanter honnêtement, avec ma technique, du mieux que je peux. Je ne peux tout de même pas me plaindre parce que je ne mesure pas deux mètres ou parce que je n'ai pas trois pieds ! (rires)

Et c'est la même chose avec votre mâchoire inférieure, qui intrigue beaucoup le public par son relâchement et ses mouvements agiles : vous ne pouvez rien y faire ?
Ça se produit sans que je puisse y faire quoi que ce soit et je ne le fais pas exprès. Quand je chante, je ne le sens pas. Il y a des gens qui chantent toujours avec la bouche tordue ; Rosa Ponselle chantait toujours les mains près de l'oreille pour entendre la justesse des aigus. Chacun d'entre nous a sa bizarrerie. Je ne peux pas le contrôler, je chante et c'est tout. Et ça ne fait pas partie de ma technique, de toutes façons ! Beaucoup d'étudiants sont venus me demander si je pouvais leur enseigner cette technique, mais c'est quelque chose que j'ai toujours eu.

Qu'est-ce qui différencie techniquement la vocalisation baroque de la vocalisation rossinienne, par exemple ?
Ce sont des types très différents. Je dois toujours passer un peu de temps avant de passer de Haendel à Rossini. La colorature est différente.
Chez Rossini, ça va de haut en bas, puis de bas en haut, alors que Haendel est plus échelonné. Rossini a toujours été plus facile pour moi. Je ne comprends pas très bien la musique de Haendel et je n'en suis jamais tombée amoureuse.
J'ai donc toujours accepté de chanter le plus possible d'oeuvres de Haendel, pour apprendre, pour comprendre un peu mieux, pour entendre un peu plus et je dois dire qu'aujourd'hui encore je le trouve un peu froid. Mais c'est un bel exercice, pour moi. Je chante pour apprendre. Je ne sais pas apprendre avec les livres, je dois apprendre par l'exercice. Il arrive donc parfois que j'accepte des rôles qui ne sont pas les meilleurs pour ma voix, car j'ai besoin d'essayer.

Par exemple ?
Bradamante, dans Alcina, à Garnier, n'était pas idéal pour moi, parce que c'est très bas et que la voix, dans cette tessiture, ne passe pas toujours. En revanche, en allant dans l'aigu, on a des vibrations plus hautes et la voix passe plus facilement, tout en étant plus petite. Mais j'ai aussi voulu essayer Bradamante parce que j'ai voulu chanter avec Vesselina Kasarova, que j'avais déjà rencontrée.

Il y avait aussi Luba Organasova, Toby Spence, Patrizia Ciofi...
Oui, je me suis beaucoup amusée avec eux. Je ne veux pas être toujours la star, je veux faire partie de la troupe.

Bajazet a été intéressant de ce point de vue, avec cette flopée de stars internationales autour de vous qui n'étiez pas le point central de l'oeuvre...
Non, mais j'avais les plus beaux airs ! (rires) «Sposa, son disprezzata » et « Son tortorella» Souvent, j'accepte un projet parce que je ne connais pas la musique et que je veux m'y essayer. Si on a trop de succès dans des oeuvres connues, on n'a plus envie de se fatiguer à faire découvrir des oeuvres qui ne le sont pas.

 

 

Photographie © Harry Heleotis.

 

Vous avez à cette occasion réenregistré « Qual guerriero in campo armato » de Riccardo Broschi [Cf. discographie]. qu'est-ce qui a changé, précisément, depuis le disque « Airs pour Farinelli » ? Les ornementations ne sont pas les mêmes...
Bien sûr que non ! Les micros étaient placés différemment, aussi. Je suis très fière de l'album Farinelli qui était mon premier album en soliste et je remercie toujours infiniment René Jacobs de m'avoir donné cette opportunité, car c'était risqué de donner à une jeune chanteuse une chance aussi belle. Mais la deuxième fois qu'on chante une oeuvre, quelle qu'elle soit, est différente de la première. Les ornements n'étaient pas les mêmes, car ceux de l'album publié chez Harmonia Mundi étaient écrits par René, pour moi, et je les ai changés, par respect, évidemment, mais aussi parce que l'opéra de Vivaldi a été proposé trois années plus tard que l'air de Broschi : Vivaldi commençait à devenir « vieux style », il n'était plus aussi populaire qu'auparavant. Et puis le caractère d'Irene est différent.

Quelle est votre version préférée ?
Je suis très satisfaite de tous les deux ! j'ai beaucoup plus étudié pour l'enregistrement de Bajazet, j'ai même étudié avec un ami ingénieur du son quelles doivent être les positions des micros et aujourd'hui, quand je fais un disque, j'ai mon mot à dire : je sais où les micros doivent être pour servir au mieux ma voix. La technique que ma professeur m'a enseignée produit de nombreuses vibrations hautes, ce qui convient mal à la position de microphone habituelle, qui ne capture pas toute la voix. En revanche, mettre les micros ailleurs produit un meilleur résultat. Je suis contente d'avoir donné quelque chose de différent. c'est par ailleurs toujours différent de faire un opéra avec trois airs que cinq jours d'enregistrement où l'on doit graver huit ou neuf airs : il y a une énergie très différente et tous les airs sont comme sortis de leurs contextes. Dans un opéra, on sait pourquoi on est en train de chanter ceci, en ce moment, à qui on le chante...

Même si ce n'est pas enregistré dans l'ordre ?
Oui, mais j'ai assisté à toutes les répétitions, j'ai tout écouté, j'ai lu l'opéra entier.

Tout le monde était là, du début à la fin des prises ?
Oui ! nous étions tous là, ce n'est pas comme ces disques enregistrés avec un chanteur en Autriche, un autre à Buenos Aires... Pour l'album Farinelli, ça a été difficile de ne pas avoir l'opéra entier sous les yeux. c'est moi qui devais créer la scène où s'insérait tel ou tel air.

Vos débuts baroques sont donc liés à la personne de René Jacobs. Avez-vous de nouveaux projets avec lui ?
Pour l'instant non. J'espère. Lui et moi avons des calendriers tellement remplis ! Si l'opportunité se présente, je travaillerais très volontiers avec lui. J'ai toujours appris beaucoup avec lui.

Vous avez dit, en manifestant votre accord : « René Jacobs est un grand supporter d'une interprétation belcantiste des opéras baroques. Il pense que le bel canto y est adapté. » Qu'est-ce que cela signifie, alors que vous disiez tout à l'heure que les types de vocalisation de Rossini et de Haendel sont très différents ?
La différence est dans la colorature, mais la technique, pour moi, reste la même. c'est la sensation qu'on a quand on chante, si on chante par paliers ou par sauts. Je ne change pas de technique, je change de disposition d'esprit plutôt que de voix, car l'esprit doit travailler d'une façon plus calculatrice, plus « mathématique » [en français dans le texte]. La structure est différente, mais la technique est toujours la même.
J'ai écouté très peu de musique baroque, avant d'en chanter. J'avais seulement écouté des disques de l'école anglaise où l'on privilégiait les voix très blanches, et ce son ne me plaisait guère. Je ne voulais pas chanter comme ça et J'avais un peu peur de travailler avec René parce que je ne connaissais pas son style. Je n'avais aucune pièce baroque à lui chanter, J'ai donc apporté « Mura Felici » de La Donna del Lago et un air de Hasse. Je pensais ne pas aller plus loin que l'audition mais en fait il m'a engagée tout de suite et, quand nous nous sommes retrouvés, un an après, pour la première répétition, nous avons travaillé trois heures ensemble : ça a été le plus beau moment de ma vie, je m'en souviendrai toujours ! J'ai été émerveillée par sa technique, par sa connaissance des voix et des chanteurs.

 

 

Ariodante, au San Diego Opera. Février 2002. Photographie (c) ML Hart.

 

Vous allez faire votre prise de rôle en Sesto, dans Giulio Cesare de Haendel, à San Diego. Un nouveau rôle en pantalon à ajouter à votre collection...
Je suis contente : c'est un rôle plus aigu que d'habitude et ce sera un nouvel essai pour moi. Comme pour chaque nouveau rôle, je me demanderai si j'ai envie de le rechanter.

Il y a des rôles que vous ne voulez plus chanter ?
Oui et non, il y a des rôles comme Arsace que je ne pourrais re-chanter que dans de petits théâtres, surtout avec les chanteurs aux voix énormes qu'on distribue dans Semiramide aujourd'hui... Parfois, il faut faire attention : je demande donc qui est dans la distribution pour savoir si je peux équilibrer ma voix avec celles-là. Bradamante, je ne le chanterai sûrement plus, car c'est un rôle qui ne m'intéressait pas plus que cela.

Et un rôle rare, comme Hassem dans Alahor in Granata ?
C'était un rôle très semblable à Arsace.

C'est rarement proposé, ne serait-ce pas intéressant de le refaire ?
Je l'ai déjà fait. Je ne pense pas qu'il soit re-proposé... Je pense qu'il conviendrait mieux à une voix comme celle de Daniela Barcellona. Il y avait Simone Alaimo à côté de Juan Diego Florez et de moi qui avons des voix un peu plus petites. Je ne suis pas sûre que le cast était équilibré.

Votre Pénélope du Retour d'Ulysse dans sa Patrie avec David Alden, à Munich, a été une révélation, même pour certains passionnés d'opéra que vous aviez peu convaincus jusqu'alors. Est-ce un bon souvenir ?
Le travail de David Alden me plaît beaucoup, que ce soit des productions auxquelles j'ai participé ou que j'ai vues. Il ne plaît pas à tous, mais j'aime sa façon étrange de voir les choses. L'histoire n'est pas modernisée, dans le sens où elle n'est pas transposée dans le temps, mais c'est comme si on la « déshabillait ». Travailler avec David Alden était une libération, on pouvait faire des choses très différentes. c'est le seul Monteverdi que j'ai chanté jusqu'à maintenant.

Une Octavie vous tenterait ?
Hésitante : Oui... Oui, oui, ça me plairait beaucoup.

Pas plus ? Vous ne rêvez pas de certains rôles, en général ?
Vous savez, toute offre est une décision à prendre. Si J'ai l'opportunité, j'aimerais chanter de nouveau Monteverdi, oui... mais non, pas de rêves. c'est que dans mon répertoire il y a beaucoup de choses inconnues. Je suis très heureuse de ce qui m'est arrivé jusqu'à maintenant, et je serai contente de voir ce qui m'arrivera à l'avenir !

Vous allez chanter Ariodante au Théâtre des Champs-Élysées, au printemps 2006. Comment le choix s'est-il porté sur vous, pour le personnage de Polinesso ?
C'est Dominique Meyer qui m'a dit qu'il m'avait toujours imaginée incarner un méchant ! J'ai rencontré Christophe Rousset, qui dirigera l'oeuvre, au TCE après un très beau concert de chansons baroques espagnoles avec Maria Bayo.

Mais votre actualité immédiate, c'est le nouveau disque Haendel/Hasse, chez Virgin Classics : je crois savoir que vous êtes allée faire des recherches sur Hasse à Dresde.
Oui, mais ça ne concerne pas ce disque mais un autre projet dont je ne peux pas encore parler. l'idée du disque qui sort ce mois de mars est venue d'Alain Lanceron qui voulait surtout enregistrer un disque Haendel, mais comme il sait que j'adore la musique de Hasse, il m'a proposé de coupler Haendel et Hasse.

... Dans un disque dont nous avons annoncé la parution longtemps à l'avance, en mai 2005.
Et je dois dire que je suis très satisfaite du résultat, car c'est très intéressant de comparer la musique de l'un et de l'autre. Hasse a écrit tellement de choses qui restent à découvrir ! Je pense que ce sera intéressant pour le public car un récital complet d'airs de Hasse aurait été trop exigeant. c'est intéressant d'entendre les styles différents des deux compositeurs, chacun dans des airs d'opéras et dans des cantates. Les trois compositeurs les plus importants de l'époque étaient Haendel, Haydn et Hasse, mais comme Haydn est le plus joué, nous nous sommes contentés des deux autres « H » !

Vous êtes en contrat exclusif avec Virgin ?
Non, mais ils m'ont toujours proposé des choses intéressantes !

 

 

Photographie © Harry Heleotis.

 

Il y a de nouveaux projets ?
Oui, mais je ne peux pas en parler !

Même si j'interromps mon dictaphone ?
Non, car ce sont des choses trop éphémères, ce sont des idées dont on ne sait pas encore si elles seront officialisées ou non... Donc, non !

Passons donc à la question suivante : vous êtes de plus en plus connue et appréciée en France [Cf. chronologie française de Vivica Genaux, en annexe] ; y avez-vous d'autres projets que ce Polinesso ?
Je ne sais plus. J'ai très peu, voire jamais chanté en province : à Strasbourg, Toulouse, Nice, Bordeaux... Il y a de nombreux endroits où je n'ai pas encore chanté. La seule chose que je ne supporte pas en France, c'est le tabac dans les lieux publics ! Je ne peux pas encore y croire, mais en Italie, ils ont totalement interdit le tabac dans les restaurants, par exemple. Même à Garnier, je me rappelle que les chanteurs se plaignaient toujours auprès de l'administration, car les techniciens fumaient dans les coulisses et là, tout est en bois ! Or, je suis sujette à la sinusite. Quand je suis en France, je reste cloîtrée chez moi, quasiment. C'est dommage, mais ça va peut-être changer...

Faîtes-vous aussi attention à ce que vous mangez ?
Pas particulièrement. J'ai un tas d'allergies, que J'ai découvertes seulement l'an dernier. Après manger, je m'endormais et j'étais dans un semi coma pendant deux ou trois heures. Si je devais répéter, je fixais quelque chose ou quelqu'un pour rester éveillée, et tout le monde pensait que j'étais fâchée. En fait, J'ai découvert que c'étaient des allergies, donc, aujourd'hui, je suis heureuse parce que je ne touche plus à ces aliments et je n'ai plus de problèmes de sinusite ou de fatigue. c'est difficile de chanter comme ça, de se présenter aux répétitions dans cet état. Sinon, non, je mange quand j'ai faim, et suffisamment !

Après la France, l'Italie : vous y vivez, près de Venise, et pourtant vous avez dit dans une interview qu'il y fait non seulement froid comme en Alaska mais humide, et que dans beaucoup de maisons italiennes il n'y a même pas de chauffage central. Mais qu'êtes vous venue faire dans ce pays ?!
Je m'y suis mariée ! J'ai commencé à étudier ici en 1992 et J'ai connu mon mari au cours de mes études. Il habite ici, il y a sa famille et une famille italienne, ça ne se déplace pas ! Mais j'ai un travail qui m'amène à voyager un peu partout, je ne suis donc quasiment jamais à la maison. Tout le monde se moque de moi car je viens d'Alaska et je me plains toujours du froid, mais le froid et l'humidité c'est ce qu'il y a de pire !

Comme nous avons parlé de Loewe au début, terminons avec Löwe et avec le récital en général : il y en a eu un l'an dernier à Pittsburgh?
... et à San Francisco, où J'ai fait le même programme. Je n'en donne pas beaucoup, mais je commence peu à peu à en faire plus souvent. Cette année je vais chanter à Malaga. J'aime beaucoup le récital parce que c'est moi qui choisis le répertoire, et puis on a un rapport différent avec le public. Je m'amuse toujours à proposer des airs de zarzuelas et ces merveilleux Frauenliebe de Löwe. Je n'aime pas chanter le répertoire « standard ». Il y a tellement de chanteurs qui le font mieux que moi ! Je chante donc ce qui me donne quelque chose à moi, parce que si cette musique ne me donne rien, alors je ne peux rien donner au public.

A Paris, on a découvert votre excellente prononciation de l'allemand, lors de ce récital à la Maison de la Radio.
J'ai étudié l'allemand avant d'apprendre l'italien. Cette langue m'a toujours plu, peut-être parce que mes grands-parents étaient originaires d'Allemagne et de Suisse Allemande. Chez moi, j'ai toujours parlé anglais, mais j'avais de la musique allemande en 33 tours. Ça fait partie de mon histoire.

Votre nom est français : pourquoi ?
Le grand-père de mon père venait de Charleroi, en Belgique. Et, puisque nous ne sommes pas loin de Murano, c'était un souffleur de verre. Il est allé habiter dans un grand centre verrier aux Etats-Unis, Charleroy (rires).

Mais on pourrait sous-titrer l'interview « de Charleroi à Charleroy », alors !
(rires) Et pour ce qui est de mon prénom : J'ai deux grandes soeurs. Quand je suis née, elles avaient déjà quatorze ou quinze ans et elles se disputaient sur le nom que je devais avoir. Chaque fois qu'on proposait un nom, il y avait un prétexte pour le refuser. Mon père est finalement rentré à la maison, un jour, en disant qu'une élève de son cours de bio-chimie s'appelait Viveca, et c'est passé, mais en changeant la voyelle du milieu ! Je viens de chanter à Anchorage, en Alaska, pour la première fois, et j'ai rencontré la Viveca en question ! Son frère était dans le choeur de l'opéra et il est venu me dire « tu sais, ma soeur s'appelle Viveca et elle a été élève de ton père » alors je me suis dit que ça ne pouvait être qu'elle ! c'est un nom suédois assez commun, là-bas, qui signifie Rébecca. Il y a aussi un équivalent en Allemagne, Wiepke.

Merci infiniment pour ce bel après-midi en votre compagnie !

 

 

 

Orfeo, dans Orfeo ed Euridice de Gluck. Los Angeles Opera, décembre 2003.
Photographie © Robert Millard.

 

Liens utiles :
¤ Nouveau site officiel de Vivica Genaux
¤ Site officiel de Vivica Genaux
¤ Site de Virgin Classics
¤ Site du fan club et liste de discussion Yahoo.

 

 

Rinaldo, de Haendel. Festival de Radio France et Montpellier, juillet 202.
Photographie ©Marc Ginot.

 

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir